(ARCHIVES) - Photo datant du 18 février 1969 de la chanteuse Barbara qui est décédée le 24 novembre 1997 à l'hôpital américain de Neuilly, à l'âge de 67 ans. De son vrai nom "Monique Serf", la chanteuse a été "victime d'un choc toxi-infectieux d'évolution foudroyante". Barbara avait été récompensée le 10 février dernier par une Victoire de la Musique. Elle avait fait ses débuts parisiens en 1953 au cabaret de l'Ecluse" en interprétant Brassens et Ferré avant de composer elle-même son propre répertoire avec des chansons comme "Ma plus belle histoire d'amour", "Nantes", "Gottingen".Picture dated 18 February 1969 shows French singer Barbara, whose real name was Monique Serf. Barbara died 25 November a day after she was admitted to the emergency department at the American Hospital in Neuilly-sur-Seine, west of Paris. She was 67.AFP PHOTO FILES/-/mp/sb/ao / AFP PHOTO / DSK

Barbara nous a quittés il y a 25 ans – « Oh faites que jamais ne revienne/Le temps du sang et de la haine »

Göttingen – 1964

Un amateur zélé, qui fait dès qu’il le peut le voyage, la supplie de venir se produire chez lui, en Allemagne. « Il s’appelait Gunther Klein, un grand barbu aux allures d’étudiant timide. Il lui parlait de Göttingen, sa ville natale, célèbre pour son université et ses étudiants », rapporte Marie Chaix, qui deviendra sa secrétaire l’année d’après, fin 1965. Mais déjà elle la connaît, l’applaudit à L’Écluse, où l’a emmenée sa sœur, la chanteuse Anne Sylvestre.

Sans doute l’a-t-elle entendue souvent, cette aventure, pour décrire si bien, dans sa biographie Barbara parue en 2007 (Éd. Libella-Maren Sell), dix ans après la mort de l’artiste, la scène qui suit : « Gunther Klein lui demanda pourquoi ne pas venir y chanter. Il y avait un petit théâtre, le Junges Theater dont il était l’un des animateurs. Elle hochait la tête. À Göttingen, personne ne devait la connaître… Et puis l’Allemagne ! Vraiment !»

La crainte de ne pas avoir de public n’est qu’un prétexte. « On n’a pas idée de ce que la chanson française représentait à l’époque en Allemagne. BécaudAznavour, et d’emblée elle-même, toutes les grandes stars étaient françaises !», se souvient la productrice Jeanine Roze, qui l’a découverte à L’Écluse et la fera chanter au Théâtre du Châtelet bien des années plus tard. En réalité, « L’Allemagne était comme une griffe », confiera Barbara. L’ex-enfant juive est née Monique Serf, le 9 juin 1930 aux Batignolles, d’une mère originaire d’Europe de l’Est et d’un père alsacien, qui n’eurent de cesse de se cacher, fuir, dissimuler leur nom pour échapper à la déportation.

Armé de patience, l’admirateur la convainc de prendre le train. Barbara a posé une condition essentielle : qu’il y ait un demi-queue noir. Or, à son arrivée pour la répétition, c’est le drame : « Un vieux et lourd piano droit l’attend, coincé à gauche de la scène, armé de deux superbes chandeliers en argent !», raconte Marie Chaix. Barbara exige un piano à queue. « Si on ne peut pas trouver cela en Allemagne…», maugrée-t-elle. Elle ne croit pas si bien dire : à Göttingen, les déménageurs de piano font grève. « Finalement, prêté par la famille d’un étudiant, on en trouvera un qui, après être passé par une fenêtre, arrivera porté par une bande de jeunes garçons », poursuit sa secrétaire écrivain. Mais le temps de tout ce remue-ménage, la salle est comble.

Barbara n’a pas répété. C’est une ovation. Invitée pour une semaine, elle reste. Göttingen est une jolie ville épargnée par les bombardements. Dans la journée, elle flâne dans les jardins. C’est là que la chanson affleure. Ce sera son remerciement.

Aujourd’hui, on la décrypte comme un chant de la réconciliation. D’autant qu’en 2003 le chancelier Helmut Kohl, commémorant le traité d’amitié franco-allemande de 1963, entonna les dernières strophes : « Oh, faites que jamais ne revienne/Le temps du sang et de la haine… » Mais pour les témoins de son temps, il ne fut pas question de politique, juste d’un chant d’amour.

En cet été 1964, dans les jardins de Göttingen, tout autour de Barbara, batifolent des enfants. « Elle les avait en adoration. Elle n’hésita pas un jour à acheter une énorme girafe à un gamin, simplement parce qu’il la regardait dans une vitrine », se souvient Roland Romanelli, l’accordéoniste qui l’accompagna dès 1966. Barbara les observe, retient leurs noms. « Restée plus longtemps que prévu, Barbara leur offrira le dernier soir cette chanson à peine finie, en lisant le bout de papier les lunettes sur le nez. Petite chanson d’amour, dira-t-elle, pour les enfants blonds de Göttingen.» Marie Chaix interrompt son récit. Émue, comme si c’était hier.

En Allemagne, le succès est tel qu’on lui demande d’aller traduire son second disque, sur lequel figure cette chanson. Cette fois, Marie est du voyage. Incapable d’apprendre le nom des notes, Barbara était aussi nulle en langues. Sauf que Marie Chaix est bilingue. En 1967, celle-ci l’accompagne à Hambourg, lui enseigne vaille que vaille la langue de Goethe et, surtout, la guide scrupuleusement pendant l’enregistrement comme le fit l’orthophoniste du roi George VI lors de son allocution dans le film Le Discours d’un roi. Elle se souvient de l’accueil poli, en France, de cette balade à trois temps, « légère et jolie, qui passe comme les autres ». Mais pour elle, comme pour Barbara, Göttingen tient lieu de résilience : Marie est née en 1942 d’un père « collabo » et d’une mère allemande. Seule Barbara partage alors ce lourd secret.

(Extrait d’un article du journal Le Figaro, daté de 2017)

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