Retour sur la conférence sur les relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni

De nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sont-elles possibles ?  

 

Le Mouvement Européen Paris et les Alumni de CentraleSupélec ont eu le plaisir d’organiser une conférence sur les relations post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, le lundi 12 mai.

À cette occasion, l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine et Lord David Owen, ancien Foreign Secretary, ont échangé sur les conséquences du Brexit, voté en 2016 et entré en vigueur en 2020, ainsi que sur l’avenir de la coopération entre l’UE et le Royaume-Uni dans un contexte géopolitique, économique et social en pleine mutation. Le débat a été animé par la journaliste Sophie Pedder, correspondante du journal The Economist à Paris. Le président du Mouvement Européen Paris, Éric Dumont, a ouvert la conférence.

 

Lord David Owen a tout d’abord affirmé que, selon lui, « l’OTAN est morte » et que les États-Unis prennent leurs distances avec l’Europe. Il estime que l’Europe s’est trop longtemps appuyée sur l’appui militaire américain et doit désormais gagner en autonomie. Pour traverser cette période de tensions, il considère que le rapprochement entre la France et le Royaume-Uni est crucial, notamment dans le domaine de la défense, tout en consolidant les liens avec l’Allemagne et la Pologne. L’ancien Foreign Secretary a souligné que, face à la volonté de la Russie de « changer la carte de l’Europe démocratique », la Pologne constitue un nouvel atout stratégique. Il insiste sur la nécessité de resserrer les relations entre États européens et de renforcer leur unité pour répondre aux menaces extérieures.

Hubert Védrine a rappelé que nous vivons une situation inédite car « c’est la première fois que l’Europe doit se défendre entre Européens ». Il estime que la question cruciale aujourd’hui est celle de l’organisation d’une défense commune à l’échelle européenne. Il salue le renforcement des liens avec le Royaume-Uni, car « c’est la seule réponse ». L’ancien ministre déplore que les dirigeants européens aient longtemps refusé l’idée d’une Europe de la défense, mais il voit un sursaut provoqué par l’agression russe et les propos de Trump, qui pousse plusieurs États membres à envisager une structuration : « de définir les forces, d’imaginer un État-major, et d’imaginer d’où viendrait la décision politique, qui ne pourrait venir que des dirigeants de ces pays ». Il juge que le sommet de l’OTAN, prévu fin juin, sera un moment décisif. Et tout cela, « n’est pas possible sans la Grande-Bretagne », affirme Hubert Védrine.

Par ailleurs, Lord David Owen a indiqué qu’il faudrait environ deux ans pour réorganiser l’OTAN sans la participation des États-Unis. Il se montre confiant, mettant en avant la montée en puissance de la Pologne. Il souligne la nécessité de partager l’arsenal nucléaire avec l’Allemagne et la Pologne.

Selon Hubert Védrine, une OTAN sans les États-Unis est « possible en principe, mais en théorie non ». Il pense qu’un projet européen de défense pourrait être bien perçu par Trump ou Vance, car il allégerait le rôle américain et réduirait leurs dépenses. Pour obtenir un compromis avec Washington, il estime que les dirigeants européens devront éviter des déclarations trop affirmées. Il explique que le but est désormais de dissuader l’agresseur, ce qui implique que « ce n’est pas un problème de solidarité mais de crédibilité ». Pour lui, il ne faut pas désigner les pays à protéger en particulier, car cela reviendrait à dire que les autres ne le sont pas ; l’objectif est la dissuasion, fondée sur la capacité nucléaire.

L’ancien Foreign Secretary a rappelé que le Royaume-Uni met sa force de dissuasion nucléaire au service de l’OTAN, contrairement à la France à ce jour. Il pense toutefois que la France pourrait suivre cette voie si l’organisation internationale évolue pour permettre une défense plus intégrée. Selon lui, si l’Europe demande un délai de deux ans pour restructurer l’OTAN et bénéficie d’une coopération pleine des forces américaines, cela pourrait convaincre Trump, ou du moins les autorités militaires américaines.

Sophie Pedder a interrogé les intervenants sur la disposition des pays européens à augmenter leurs budgets de défense. Lord David Owen a reconnu qu’il faudrait, en effet, « payer plus de taxes », mais a noté une prise de conscience, notamment de la part du chancelier allemand, qui a accru les dépenses nationales de défense et sollicité un appui français. Il souligne que la vision de l’Europe face à Poutine diffère de celle de Trump, et qu’il faut faire preuve de lucidité face aux enjeux actuels.

À propos de l’évolution de Vladimir Poutine, Hubert Védrine affirme que « l’Occident a très bien géré la guerre froide et très mal la suite ». Il s’interroge sur la manière dont nous allons « sortir du drame de l’Ukraine ; très mauvaise, dramatique ? », et comment recréer un lien avec la Russie, « qui sera toujours là et qui ne sera jamais un régime social-démocrate ou chrétien-démocrate ». Il insiste sur la nécessité de ne pas « attendre 50 ans » pour penser cette relation post-conflit et refuse que « l’avenir de la Russie soit réfléchi uniquement à Washington par l’entourage de Trump ». Il en conclut qu’il faut construire une Europe de la défense, établir des garanties, conclure le conflit de la manière la moins dramatique possible, et se préparer à réengager le dialogue avec la Russie. Il évoque également le rôle que pourraient jouer des pays tiers comme la Turquie pour relancer les discussions.

Lord David Owen estime qu’il faudra poursuivre la coopération économique avec la Russie et envisager sa réintégration au sein du G8. Il plaide pour une approche plus inclusive, qui ne se limite pas aux sanctions, et affirme qu’il faut repartir de zéro, dans l’intérêt de toutes les parties, ce que comprend, selon lui, le président Emmanuel Macron.

Concernant les relations franco-britanniques, Hubert Védrine se félicite de la volonté politique actuelle de rapprochement. À ses yeux, le couple franco-britannique est aussi fondamental que le couple franco-allemand. Il appelle à dépasser les différends secondaires et à « investir dans le nouveau système Grande-Bretagne, France, Allemagne, Pologne et éventuellement la Suède et l’Italie ».

Lord David Owen souligne qu’il est effectivement nécessaire de faire évoluer les mentalités et de poursuivre les efforts de coopération.

Revenant sur le Brexit, Lord David Owen estime que la relation entre le Royaume-Uni et les États-Unis était autrefois plus forte que celle avec l’Union européenne, alors qu’on observe aujourd’hui la situation inverse. Il estime que si un référendum était organisé aujourd’hui, le résultat serait différent, en raison du renforcement du lien avec l’Union européenne.

 

Un moment d’échange a été réservé aux questions du public.

 

Sur la coopération dans d’autres domaines que la défense, l’ancien Foreign Secretary s’est montré favorable à un renforcement des partenariats sur d’autres sujets, commerciale par exemple.

En ce qui concerne le risque d’agression de l’Europe de l’Est par la Russie, Hubert Védrine souligne que les menaces sont souvent exagérées, même si elles ne peuvent être complètement écartées. Il rappelle que « les politiques sont obligées de gérer » le fait qu’il y ait une menace rationnelle ou non. Il insiste sur l’importance du rapport de force et appelle à ne pas amplifier les dangers, comme le fait parfois Poutine.

Lord David Owen ajoute que le comportement de la Russie dépendra de son futur dirigeant. Il considère que les sanctions économiques ne sont pas efficaces et devraient donc être évitées. Il conclut en affirmant que Poutine ne restera pas éternellement au pouvoir, et qu’il faudra alors aider la Russie et sa population à se reconstruire.

Sur le risque d’une victoire de l’extrême droite en France en 2026, qui pourrait nuire à la coopération européenne, Hubert Védrine rappelle que « dans nos démocraties modernes, il y a des élections tout le temps ; quand il n’y en a pas, il y a des sondages, et quand il n’y a pas de sondages, il y a les réseaux sociaux qui influencent ». Il appelle à établir des relations tellement solides qu’elles deviennent pratiquement irréversibles, et à « créer une situation que même des gouvernements extrémistes, incompétents, ne pourraient pas remettre en cause », dans les deux années à venir.

Il conclut également en rappelant que les sanctions sont un outil des puissants, mais que leur échec face à la Russie montre leurs limites. Selon lui, « l’article 42 ne fonctionne pas » et « le vrai système est l’OTAN ». Il souligne qu’il est urgent de « régler le sujet de l’élargissement » et de tirer parti de la Communauté politique européenne, « qu’on ne prend pas au sérieux aujourd’hui mais qui est le seul rendez-vous des Européens ». Il appelle à concentrer les efforts sur l’aide à l’Ukraine, et à résoudre les tensions fondamentales entre les élites européennes et leurs peuples, sous peine de voir l’Union se « désintégrer ».

Lord David Owen a conclu en affirmant que la relation diplomatique la plus forte aujourd’hui est celle qui lie la France, l’ambassadeur des États-Unis et l’ambassadeur britannique, une coopération qu’il juge exemplaire.

 

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ENGLISH 

 

The European Movement Paris and the Alumni of CentraleSupélec had the pleasure of organizing a conference on post-Brexit relations between the United Kingdom and the European Union, held on Monday, May 12. On this occasion, former French Foreign Minister Hubert Védrine and Lord David Owen, former Foreign Secretary of the United Kingdom, engaged in a discussion on the consequences of Brexit—voted in 2016 and implemented in 2020—and on the future of cooperation between the EU and the UK amid a shifting global geopolitical, economic, and social landscape. The debate was moderated by journalist Sophie Pedder, who works at The Economist’s Paris bureau. Eric Dumont, President of the European Movement Paris, opened the conference.

 

Lord David Owen began by stating that, in his view, « NATO is dead » and that the United States is distancing itself from Europe. He believes Europe has relied too heavily on American military support and must now strive to become more self-reliant. To manage this period of crisis, he considers a closer relationship between France and the UK to be essential, especially in the area of defense, and also advocates for stronger ties with Germany and Poland. The former Foreign Secretary noted that, as Russia seeks to « change the map of democratic Europe, » and that Poland represents a new strategic asset. European countries must strengthen their mutual relationships and reinforce unity in the face of external threats.

Hubert Védrine reminded the audience that we are in an unprecedented situation because « it’s the first time Europe must defend itself against other Europeans. » According to him, the pressing issue now is how to organize a common European defense for the first time. He welcomed the strengthening of relations with the UK because « it’s the only answer. » The former minister regretted that European leaders had long rejected the idea of a defense-oriented Europe, but sees a renewed spirit of European defense sparked by the Russian attack and Trump’s reaction. This, he said, is encouraging a group of EU member states to begin formulating an organization, « to define the forces, to imagine a General Staff, and to imagine where the political decision would come from, which can only come from the leaders of these countries. » He believes the upcoming NATO Summit at the end of June is historic. All of this, he added, « is not possible without Great Britain. »

Lord David Owen also indicated that restructuring NATO without the United States would take around two years. He expressed optimism, highlighting Poland’s growing strength. He stressed the importance of sharing nuclear defense capabilities with Germany and Poland.

According to Hubert Védrine, a NATO without the United States is « possible in principle, but not in theory. » He believes that a European defense project could be positively viewed by Trump and Vance, as it would reduce America’s role and financial burden. For such a compromise to be accepted, European leaders should avoid overly assertive declarations. Védrine emphasized that the objective today is to deter the aggressor—not as a matter of solidarity, but of « credibility. » He warned against specifying which countries should be protected, as it would imply that others are not; deterrence, he insisted, comes from nuclear capability.

The former Foreign Secretary pointed out that the UK currently shares its nuclear deterrent with NATO, whereas France does not. However, he believes France could follow suit if the international structure were reformed to strengthen collective defense. In his view, if Europe requested a two-year window to reorganize NATO and secured full cooperation from American forces, President Trump—or at least the U.S. military establishment—could be convinced.

Sophie Pedder also asked whether today’s European societies would be willing to accept increased defense spending. Lord David Owen acknowledged that it would indeed require « paying more taxes, » but noted a general awareness of this need, citing the German Chancellor’s decision to boost the national defense budget and explicitly request French support. He added that Europe’s perspective on Putin differs significantly from Trump’s, and that we must be realistic in assessing current threats.

On the topic of Vladimir Putin’s trajectory, Hubert Védrine stated that « the West managed the Cold War very well and handled the aftermath very poorly. » He wondered how we will « get out of the Ukrainian tragedy; very badly, dramatically? » and how to rebuild relations with Russia, « which will always be there and will never be a social-democratic or Christian-democratic regime. » He insisted that we must not « wait 50 years » to think about postwar relations and stressed that he does not want « Russia’s future to be decided solely in Washington by Trump’s inner circle. » He concluded that we must build a European defense, seek security guarantees, end the war in the least dramatic way possible, and be ready to re-engage with Russia. He also mentioned the need to work with third countries, such as Turkey, to resume diplomatic discussions.

Lord David Owen emphasized that economic cooperation with Russia must continue and that Russia should be brought back into the G8. Sanctions should not be the default approach; instead, we should aim to reintegrate Russia into the global economy. He concluded that it is time to take a step forward and start from scratch, a strategy that would benefit all parties—in his view, something President Emmanuel Macron understands.

Regarding Franco-British relations, Hubert Védrine welcomed the current political will to strengthen ties. In his opinion, the Franco-British partnership is as crucial as the Franco-German one. He advocated putting aside minor disagreements and « investing in the new system of Great Britain, France, Germany, Poland, and possibly Sweden and Italy. »

Lord David Owen agreed that a change in attitudes is necessary and that cooperation must continue.

Reflecting on the Brexit vote, Lord David Owen remarked that the UK’s relationship with the United States used to be stronger than with the European Union, whereas the opposite seems true today. In this light, he suggested that if a new referendum were held, the outcome might be different.

 

A moment was reserved for participants to ask questions.

 

On cooperation in sectors beyond defense, the former Foreign Secretary expressed support for strengthening all other forms of collaboration.

As for the risk of a Russian attack on Eastern Europe, Hubert Védrine pointed out that such threats are often exaggerated, even if they cannot be entirely dismissed. He stated that « politicians are obliged to manage » whether or not a threat is rational. He argued that we must approach the situation with a balance of power mindset and avoid inflating perceived threats as Putin does.

Lord David Owen added that Russia’s behavior also depends on who leads the country. He argued that economic sanctions are ineffective and should not be relied upon. He concluded by saying that Putin will not be in power forever, and that support for Russia and its people will be essential once his regime ends.

Regarding the risk of the far right coming to power in France in 2026—potentially weakening cooperation with other EU member states—Hubert Védrine emphasized that « in our modern democracies, there are elections all the time; when there aren’t, there are polls, and when there are no polls, there are social networks that influence things. » He stressed the importance of forging relations so strong that they become practically irreversible, and of « creating a situation that even extremist, incompetent governments could not undo, » within the next two years.

Hubert Védrine concluded by stating that sanctions are a tool of the powerful, but that their failure against Russia shows their limits. According to him, « Article 42 doesn’t work, » and « the real system is NATO. » He argued that enlargement must also be addressed and that the European Political Community—currently not taken seriously—is « the only true European meeting point. » In the short term, he called for a focus on aid to Ukraine and warned that if the EU fails to address the fundamental disconnect between its elites and its citizens, it risks falling apart.

Lord David Owen concluded by saying that the strongest current diplomatic relationship is the one between France, the U.S. Ambassador, and the British Ambassador—a cooperation he described as functioning perfectly.

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