Le 22 janvier 2015
Confrontée à la médiocre situation économique de la zone euro (taux de croissance très faible, taux de chômage élevé, « désinflation » à la limite de la déflation, consommation et investissement en berne alors que paradoxalement l’épargne est abondante en Europe tout en étant cependant peu orientée vers le risque, banques prudentes dans l’octroi de crédits, déficits budgétaires et poids des dettes publiques), la BCE vient d’adopter un programme dit de QE ou d’assouplissement monétaire.
La politique monétaire est l’un des instruments dont disposent les pouvoirs publics d’un Etat pour faire une politique de relance économique (les autres instruments étant les politiques budgétaires et fiscales).
La BCE dispose de la seule arme monétaire. Elle l’a utilisée en baissant progressivement les taux d’intérêt à un niveau proche de 0, sans résultat. Après les EU, qui viennent après sept ans de sortir de leur programme de QE, le Japon et le Royaume-Uni, la BCE a donc eu recours à cette politique monétaire non conventionnelle.
Pourquoi « l’économie réelle » de la zone euro est-elle en panne ?
Certains experts l’expliquent par le fait qu’on serait à la fin d’un cycle de progrès technique ayant pour effet de diminuer le taux de productivité et de générer des rendements décroissants.
L’autre cause, qui n’exclut pas la première, serait le retard pris, à l’exception notable de l’Allemagne, par les économies des pays de la zone euro dans la mise en œuvre de réformes structurelles :
organisation du marché du travail, coût du travail et de la protection sociale, pesanteur administrative et autres blocages souvent d’ordre psychologique. A l’exception de l’Allemagne, la zone euro souffre d’un faible niveau de productivité et de compétitivité-prix et hors-prix ce qui affecte la balance commerciale de nombreux pays de la zone.
Et pourtant, mais peut-être conjoncturellement, la zone euro bénéficie de la baisse de sa monnaie par rapport au $, et à un degré moindre des autre grandes monnaies, et de la chute brutale du prix du baril de pétrole (chute corrigée par le fait que le pétrole s’achète en $).
Ce programme relancera t-il la croissance ?
Ces nouvelles liquidités pèseront encore plus sur le cours d’un euro déjà affaibli, sur les taux d’intérêt (déjà très bas). Ajoutées aux facteurs conjoncturels mentionnés ci-dessus, tout donne à penser que ce programme pourrait relancer la machine économique (investissement et consommation), favoriser les exportations au détriment des importations et accroître l’inflation (la déflation créant des phénomènes d’attentisme très préjudiciables) jusqu’à la limite proche de celle fixée dans le traité (2 %).
Encore faudrait-il que ces liquidités arrivent chez les agents économiques et qu’ils les utilisent ce qui n’est pas évident car « l’économie réelle » a ses propres règles de fonctionnement et d’anticipation de la conjoncture et de son évolution. Pour reprendre l’adage populaire, « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ». Les liquidités étant déjà abondantes, le risque d’une « trappe à liquidités » est réel. Ce risque peut prendre la forme d’une bulle si ces liquidités restent dans la seule sphère financière.
De plus, cette abondance de liquidités pourrait avoir un effet pervers: retarder l’adoption et la mise en œuvre de réformes structurelles ce qui serait d’autant plus grave que ces réformes, quand elles sont prises, mettent du temps à produire leurs pleins effets.
Enfin, les programmes de QE cités ci-dessus ont eu des résultats mitigés: positifs dans l’ensemble aux EU où la reprise économique semble solide et au Royaume-Uni, négligeables au Japon son économie ne sortant pas de sa léthargie.
Quoiqu’il en soit, la situation économique et sociale de la zone euro est tellement dégradée qu’on se doit de saluer la décision de la BCE de mettre en place une politique monétaire dite « reflationniste ».
Quel est le montant du programme de la BCE ?
A partir de mars prochain, la banque centrale européenne s’apprête à injecter des liquidités (mesure communément appelée « planche à billets ») à hauteur de 60 milliards d’euros par mois, au moins jusqu’en septembre 2016, ce qui représentera 1140 milliards d’euros, en rachetant des actifs financiers. Ce montant correspond à un peu plus de 10 % du PIB de la zone euro. Il concernera essentiellement, mais pas seulement, des obligations souveraines.
La répartition des achats par pays s’effectuera sur la base de la clé de répartition du capital de la BCE, clé établie en fonction du poids de chaque économie dans le bloc monétaire de la zone euro. La BCE devrait pouvoir détenir environ un quart de titres allemands, 20 % de titres français, etc.
Comment les achats sont-ils opérés ?
L’essentiel (92 %) des achats de titres obligataires sera effectué par la BCE auprès des banques centrales nationales des 19 pays de la zone euro.
Pour tenir compte des fortes réticences de l’Allemagne, inquiète de devoir supporter les risques de défaut de titres de pays membres les plus exposés, 80 % des titres achetés ne feront pas l’objet de « partage du risque ».
En d’autres termes, la Bundesbank achètera essentiellement des obligations allemandes, la Banque de France des titres français, etc. 20 % du total obéira à une mutualisation du risque : les 12 % correspondant à la part dans le total de titres émis par des institutions européennes comme la BEI (Banque Européenne d’Investissement) et les 8 % d’achats que la BCE effectuera directement.
Et l’intégration européenne ?
Cette opération concerne les 19 pays de la zone euro sur les 28 membres que compte l’UE, les pays non membres ayant, en principe, vocation à adhérer à la zone euro (si, depuis le traité de Lisbonne, un Etat-membre peut désormais sortir de l’UE -cf. l’article 50 du traité-, le traité ne prévoit pas de sortie de l’euro…), tandis que certains d’entre eux ont fait le choix d’un « opting out ». Le Royaume-Uni, on l’a vu, conduit sa propre politique monétaire.
Parmi les 19, des clivages existent en particulier entre l’Allemagne, qui a négocié l’encadrement de son propre risque, et les autres pays membres. Les pays, comme la Grèce, qui bénéficient de programmes spécifiques de soutien, auront un régime particulier.
Enfin, le risque de chaque pays sera cloisonné puisqu’il se limitera à sa quote-part dans le capital de la BCE, tandis que la mutualisation des risques entre les pays sera limitée à la part d’achat effectuée par la BCE.
En dépit des progrès réalisés (fonds structurels, mécanisme européen de stabilité, union bancaire), la zone euro n’est pas encore « une union de transferts ».
Et après les élections législatives du 25 janvier en Grèce ?
Les grecs ont voté le 25 janvier contre « l’austérité » ce qui n’a pas beaucoup de sens car « l’austérité » n’est pas une fin en soi. La zone euro (et l’ensemble de l’UE) est confrontée depuis quelques années à un dilemme : 1) rééquilibrer les comptes publics ; or, des mesures de rééquilibrage ont dans un premier temps des effets récessifs ; 2) distribuer, d’une façon ou d’une autre, du pouvoir d’achat pour faire de la relance ce qui aurait pour effet de détériorer encore plus les comptes publics. D’autre part, la situation économique et sociale varie d’un Etat-membre à l’autre.
Après la récente adoption par le Conseil du plan Juncker de 315 milliards d’euros destiné, par effet de levier, à lever des fonds supplémentaires pour faire de la relance par l’investissement public et privé dans l’UE des 28, la BCE a pris le 22 janvier une décision pour l’eurozone qui va dans le même direction que celle du plan Juncker. Ces mesures seront-elles suffisantes ? Probablement pas si de profondes réformes structurelles, politiquement impopulaires, ne sont pas enfin mises en place.
Concernant la Grèce, ce pays et ses partenaires ne voulant pas d’une sortie de l’UE et de l’eurozone, il probable que l’on s’orientera vers une restructuration de la dette (allongement de sa durée et/ou baisse des taux de certains prêts) détenue à 80 % par les Etats de la zone euro, par le Mécanisme européen de stabilité et par le Fonds monétaire international, en contrepartie de l’engagement de mettre en œuvre des réformes structurelles.
Cette négociations s’annonce serrée et longue. Tout d’abord parce qu’elle pourrait créer un précédent.
Ensuite, en raison du nombre de parties prenantes à cette négociation et de leur statut (le FMI et la BCE sont « des créanciers préférentiels », ce qui n’est pas le cas des Etats qui sont a priori plus exposés), des sommes en jeu (240 milliards de prêts depuis 2010 et services d’une dette qui s’élève à 320 milliards d’euros soit 175 % du PIB grec) et de l’état de l’économie grecque qui exige que de nouveaux délais soient obtenus. Quant aux réformes structurelles que le nouveau gouvernement grec pourrait s’engager à mener, elles requièrent un consensus politique et social que ce gouvernement devra s’employer à obtenir.
Christian Casper
Membre du Mouvement Européen Paris-Ouest, MEPO,
et de l’Association Réalités et Relations Internationales, ARRI
27 janvier 2015