Gérard Araud rappelle que la politique étrangère des Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe a été fondée sur la neutralité pendant de nombreuses décennies. Dès 1793, lors de la guerre entre la France révolutionnaire et la Grande-Bretagne, Georges Washington a décidé de rester neutre « Neutrality proclamation ». En 1823, la doctrine Monroe a été édictée. Cette politique de neutralité devait se poursuivre tout au long du 19e et du 20e siècle jusqu’en 1945. Pendant toute cette période, la politique américaine a privilégié une politique interventionniste dans la zone latino-américaine.
Si les Etats-Unis sont intervenus militairement en 1917, ce fut à cause de la maladresse allemande quand des sous-marins sabordèrent délibérément des convois américains. Néanmoins, les Etats-Unis sont intervenus en tant que puissance associée et non pas alliée. Lors des négociations qui ont suivi la fin de cette guerre, Wilson avec ses Quatorze Points et autres exigences a fortement irrité Georges Clemenceau et Georges Lloyd.
Peu de temps avant 1940, les Etats-Unis adoptèrent la législation cash and carry (payez rubis sur l’ongle et emportez) dans le prolongement de la doctrine Monroe. Ils y ont mis un terme pendant la guerre sous la pression de Franklin Roosevelt et l’ont remplacée par le prêt-bail (prêt à long terme).
Les choses changèrent complètement en 1945 avec la guerre froide et la totale détermination des Etats-Unis à contrer l’idéologie communiste et l’URSS alors que l’Europe était épuisée, ruinée. Ce furent le plan Marshall et, en 1949, le traité de l’atlantique nord (l’OTAN).
Selon Gérard Araud, les deux parrains de ce qui devait devenir plus tard l’Union européenne ont été les Etats-Unis et le pape !
La politique étrangère des Etats-Unis vis-à-vis de l’Europe a très sensiblement évolué sous la présidence d’Obama. Celui-ci s’est désintéressé de l’Europe où il a effectué trois fois moins de voyages qu’en Asie pendant ses deux mandats. Ce fut lui qui conçut la politique du « pivot » pour tenir compte de l’émergence de cette région, en particulier de la Chine, sur les plans géopolitique et géostratégique.
Que dire sur ce que pourrait être la politique étrangère de Donald Trump ? Pas grand-chose dans la mesures où les propos de campagne électorale n’engagent que le candidat … et que le principe de réalité a toujours régi la politique internationale et la diplomatie.
Aux Etats-Unis, la transition entre deux administrations dure environ six mois. Quatre mille hauts fonctionnaires doivent être nommés et sept-cents d’entre eux doivent être confirmés par le Sénat (trente-cinq l’ont été fin février). Pour le moment, « les bureaux sont vides » !
Après l’Afghanistan, et surtout l’Irak, l’opinion publique américaine est lasse des interventions militaires. Les Etats-Unis ne se considèrent plus comme une hyper puissance.
Les grandes lignes de ce que pourrait être la politique étrangère de Donald Trump sont :
– l’hostilité au multilatéralisme dont on doit admettre que les institutions et leurs règles de fonctionnement n’ont pas été revues depuis 1945 (l’ONU et son Conseil de Sécurité avec ces cinq membres permanents, le FMI, la Banque mondiale).
Pour Donald Trump, « un ordre mondial » n’existe pas.
– le bilatéralisme : pour le nouveau Président, les grands ensembles régionaux comme l’UE n’existent pas. Il ne connait que les Etats. L’ALENA est très menacé. Le projet de traité TAFTA déjà contesté en particulier du côté européen, est enterré. Son objectif principal était pourtant de définir des normes communes face aux pays qui sont de moins en moins émergents ;
– le nationalisme ;
– le protectionnisme.
Toutefois, il faut tempérer ce qui précède. Trois des membres les plus élevés de son équipe, Mike Pence, le Vice-président, Tillerson, le Secrétaire d’Etat, et le général Mattis, le Secrétaire à la Défense, ont tenu en Europe des propos directement inspirés de la doctrine traditionnelle du parti républicain en matière de politique étrangère dans des discours officiels.
Les Etats-Unis ont une forte culture protectionniste et n’hésitent pas à brandir et à utiliser le bâton ou le gourdin. Gérard Araud lutte depuis plus de trente ans contre la pratique de l’extraterritorialité. La menace de retirer à une banque ou à une entreprise étrangères sa licence d’exploitation aux Etats-Unis si elles ne payaient pas une amende, souvent très lourde, suffit pour qu’elles s’exécutent puisqu’elles ne peuvent pas se permettre d’être absentes d’un marché de cette taille. L’usage du dollar à la fois monnaie nationale et première monnaie de réserve mondiale dans les transactions est un prétexte pour justifier une telle politique.
Plus grave encore, l’administration étudierait la mise au point d’un projet de loi intitulé « Border adjusment tax » qui exonérerait les exportations de l’impôt sur les sociétés tandis que celui-ci serait majoré pour les importations.
L’accord du 14 juillet 2015 conclu par les cinq + un avec l’Iran qui porte exclusivement sur le nucléaire iranien pourrait être remis en cause. Les investisseurs hésitent à s’engager en Iran, les banques se montrant frileuses.
Sur les relations transatlantiques, Gérard Araud rappelle que les Etats-Unis et l’Europe partagent des valeurs et des intérêts communs. Il estime que cette relation devrait dépasser le seul cadre militaire. La question d’une intervention américaine en Europe, en application de l’article 5 du traité de l’OTAN, est posée si les provocations russes dans les pays limitrophes devenaient plus sérieuses.
Parmi les nombreuses questions-réponses avec la salle, certaines méritent d’être plus particulièrement notées :
– Dans l’immédiat, la personnalité du Président suscite un profond clivage dans l’opinion où il est à la fois détesté et adulé. Quant à la presse, elle est déchaînée et Donald Trump lui rend coup pour coup. Le Congrès a commencé à défaire tout ce qu’Obama a fait. L’Obamacare est particulièrement dans le viseur des républicains qui détiennent la majorité dans les deux Chambres ;
Dès 2018, la totalité de la Chambre des Représentants et le 1/3 du Sénat seront soumis à réélection ;
– Gérard Araud s’est montré pessimiste sur une défense européenne en raison du réalignement du Royaume-Uni sur les Etats-Unis, le « Brexit » ne leur laissant pas d’autre choix.
S’il croit que la coopération entre les différents membres de l’UE peut aller très loin, il pense qu’une armée européenne est peu crédible dans la mesure où, à ce stade, les soldats peuvent difficilement aller au feu autrement que sous leur drapeau national.
– Sur le dossier israélo-palestinien, la solution des deux Etats en est « à minuit moins cinq » et peut-être moins, la poursuite de la colonisation la vidant de son sens.
Il s’étonne que chaque Président américain ne se saisisse de ce dossier qu’en fin de mandat. Il mentionne le discours de John Kerry du 28 décembre 2016 dans lequel il a déclaré « La solution des deux Etats est la seule possible pour préserver Israël comme Etat juif et démocratique ».
Christian Casper
Photo : Nato, EU and USA Flag