Les surprises des élections allemandes

Conférence sur les élections allemandes et ses conséquences politiques au niveau national et international, 17 mars 2025

par Christina Gierse

Les élections allemandes s’inscrivent dans un contexte à la fois national et international nouveau.

Joachim Bitterlich, Ancien Conseiller politique d’Helmut Kohl, Ancien Ambassadeur d’Allemagne, Membre de l’Institut Jacques Delors, et Hélène Miard-Delacroix, Professeure des Universités, Sorbonne Université, ont analysé les enseignements du scrutin. Comment expliquer les résultats de ces élections anticipées ? Peut-on prévoir les conséquences à court et moyen terme ? Quels sont les défis qui attendent le nouveau chancelier Friedrich Merz, leader de la CDU/CSU ?

L’Allemagne, en tant que démocratie parlementaire, dépend fortement de la composition de son Parlement pour former un gouvernement stable. Lors des dernières élections anticipées, le Parlement sortant, élu en septembre 2021, a été dissous en raison de la rupture de l’alliance gouvernementale entre les Noirs (CDU/CSU), les Rouges (SPD), les Verts et les Jaunes (FDP). Cette coalition, surnommée « Ampel » (« feux tricolores »), n’est pas parvenu à s’entendre sur une politique commune, d’où les élections anticipées.

La campagne électorale a été marquée par trois grands sujets : l’économie, l’immigration et la défense. La répartition des votes montre une méfiance persistante entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne, ainsi qu’une montée de l’AfD dans certaines régions. Il s’agit là de dynamiques complexes, influencées par des facteurs historiques, sociaux et géographiques.

Un nouveau Parlement bicolore

Le nouveau Parlement compte désormais cinq formations politiques au lieu de sept, ce qui devrait faciliter la formation d’une majorité, et le futures prises de décision. L’extrême droite (AfD) et l’extrême gauche (Die Linke) n’ayant pas réussi à obtenir suffisamment de voix, une probable coalition entre SPD et CDU/CSU.

La carte électorale montre une forte présence de l’AfD à l’Est. Avec 9 millions d’électeurs sur 60 millions, l’Est est moins peuplé mais a apporté un soutien massif à l’AfD grâce notamment à la mobilisation des abstentionnistes dans les régions déshéritées. L’extrême droite a essaimé ces territoires en exploitant le sentiment de déclassement des habitants. Un phénomène qui n’est pas nouveau et a été observé dans d’autres pays, y compris en France, selon les intervenants.

« Il est intéressant de noter que les Turcs en Allemagne ne sont pas présents dans les régions où l’AfD est forte. En revanche, ces régions accueillent des étrangers, principalement des Russes et des Ukrainiens. Ce phénomène est similaire à celui observé en France, où les électeurs de l’extrême droite ne vivent pas nécessairement dans les zones à forte présence étrangère » indiqueHélène Miard-Delacroix.

Allemagne de l’Est : une croissance à la peine

L’Allemagne de l’Est est marquée par un chômage plus important qu’à l’Ouest. Beaucoup d’argent a été investi en Allemagne de l’Est, notamment dans les usines de semi-conducteurs et de batteries pour voitures électriques. Les infrastructures ont été modernisées. Pour autant, ces industries ne créent pas massivement d’emplois en raison de leur haute technicité.

Un autre frein à la création d’emploi est la bureaucratie, très stricte en Allemagne, pays qui « applique toutes les directives européennes à la lettre et ajoute des réglementations supplémentaires ». Cette lourdeur administrative aurait pour effet de ralentir les investissements et les projets.

Enfin, la digitalisation en Allemagne reste à la traine. Elle est moins développée qu’en France, et complique le quotidien des Allemands lorsqu’ils doivent effectuer des démarches administratives. En France, de nombreux services comme la retraite et les impôts ont été dématérialisés via France Connect.

Les défis de l’énergie et du réarmement

Pas d’avancées technologiques ou de développement industriel sans énergie. Or l’Allemagne est très dépendante des importations… Encore un dossier brûlant pour le nouveau chancelier. « La peur du nucléaire est profondément ancrée en Allemagne, en partie à cause de l’histoire de la guerre froide. Les Allemands craignent que leur pays devienne un champ de bataille nucléaire. Cette peur explique en partie l’opposition à l’énergie nucléaire civile et la réticence à soutenir des politiques nucléaires militaires » d’après Joachim Bitterlich.

En matière militaire, l’armée allemande reste sous-financée au vu des enjeux. Actuellement, l’Allemagne investit environ 8 milliards d’euros par an, soit la moitié de ce que la France investit. Ce budget militaire allemand est souvent mal compris car il inclut les pensions. Pour rattraper le retard accumulé depuis les années 1990, l’Allemagne prévoit d’augmenter son budget militaire à 80 milliards d’euros.

« Depuis les années 90, l’Allemagne a considéré qu’elle entrait dans une ère de paix, réduisant ses investissements militaires. L’illusion que les États-Unis assureraient sa protection a conduit à un désengagement budgétaire, émotionnel et psychologique de tout ce qui concerne la défense » note l’ancien ambassadeur. Le désengagement de l’allié américain est perçu en Allemagne, comme une trahison. Frédéric Merz, futur chancelier, a évoqué la nécessité de construire une défense européenne indépendante, une idée autrefois impensable.

Quelle coopération européenne en matière d’armement ?

Les pays européens, et en premier lieu la France et l’Allemagne, pourraient-ils œuvrer à une défense commune ? Par exemple en rationalisant les modèles de chars et d’avions en Europe afin de réaliser des économies d’échelle ? Sur le papier, l’ambition parait louable. Mais, les intérêts économiques des différents pays rendent cette rationalisation parfois difficile. Les projets franco-allemands, comme celui de l’Eurofighter, illustrent les défis de la coopération militaire européenne. Si de bonnes idées sont sur la table, leur mise en œuvre reste complexe. En attendant, la Commission Européenne devrait faciliter les achats d’armement en exemptant de TVA les transactions entre gouvernements européens. Cela permettrait de renforcer la coopération et de rationaliser les dépenses militaires. Une première étape vers une coopération européenne en matière militaire ?

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