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Janvier 2017- Libres propos européens de Christian Casper

I- 2018 : Année préparatoire aux élections au Parlement européen de mai/juin 2019, au renouvellement de la Commission et des principaux dirigeants de l’Union européenne (et de la zone euro) ainsi qu’à la « la refondation » de l’Union (et de la zone euro).

 

1- La préparation des élections 

En France, le gouvernement a décidé de revenir à une circonscription nationale unique en lieu et place des huit circonscriptions actuelles. Cette option suscite un débat entre les partisans d’un meilleur ancrage territorial des députés européens et ceux qui préfèrent donner au débat européen une meilleure visibilité. L’enjeu de la participation électorale est primordial pour donner une plus grande légitimité à cette institution démocratique ainsi qu’au Président de la Commission qui est désormais désigné par le Conseil européen « en tenant compte des résultats de cette élection », puis élu par le Parlement.

En 2014, la moyenne de cette participation a été de 42,61 % pour l’ensemble de l’UE, les écarts de participation variant beaucoup d’un Etat-membre à un autre. En France, la participation a été de 42,43 %, soit un taux très proche de la moyenne européenne.

Dans le courant de cette année, se tiendront les « conventions/consultations démocratiques » voulues par le Président français dans son discours de la Sorbonne.

La création de listes transnationales est peu probable car elle nécessite d’amender le code électoral européen qui ne peut être obtenu que par un vote unanime du Conseil européen.

Il faudra cependant régler le sort des 73 sièges de députés européens dévolus au Royaume-Uni qui seront vacants en mai/juin 2019. Cette question est un dilemme dans la mesure où le nombre de sièges (751) au Parlement européen et leur répartition par pays sont fixés par l’article 14 du TUE (Traité sur l’Union européenne) qui stipule que « le Conseil européen adopte à l’unanimité, sur initiative du Parlement européen et avec son approbation, une décision fixant la composition du Parlement européen ». Comme aucun État membre ne peut se voir attribuer plus de 96 sièges (cas de l’Allemagne), toute nouvelle répartition affectera le délicat équilibre négocié par tous les Etats-membres. Il semble, en outre, difficile d’augmenter le nombre déjà élevé de sièges au Parlement européen, ceci d’autant plus que des pays candidats pourraient adhérer à l’UE.

 

2- La nomination/ élection des principaux dirigeants de l’UE (et de la zone euro) 

A l’issue de ces élections, un nouveau Président et un nouveau collège de commissaires seront nommés/élus par le Conseil européen et le Parlement européen à l’issue de la procédure de l’article 17 du TUE.

En décembre dernier, les ministres des finances de la zone euro ont élu Mario Centano Président de l’Eurogroupe.

L’année 2019 verra le renouvellement de tous les principaux dirigeants de l’UE : le Président de la Commission en juin 2019 et, fin 2019, le Président du Conseil européen qui est nommé/élu par ce dernier et le Président de la BCE, dont le mandat de 8 ans n’est pas renouvelable, qui est nommé/élu par les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro. Depuis la crise économique et financière de 2008, le rôle de la BCE, dont l’indépendance est garantie par les traités, s’est considérablement accru.

Quant à la Présidence tournante du Conseil (des ministres) de l’UE, dont l’ordre d’exercice est fixé dans le traité, elle sera exercée en 2018 par la Bulgarie pendant le premier semestre, l’Autriche lui succédant.

 

3- La « refondation » 

– Dans la perspective de ces élections, le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, dans son discours sur l’Etat de l’Union du 13 septembre 2017 et dans un article paru récemment dans la presse intitulée « Réparons le toit tant qu’il fait beau », et le Président français, Emmanuel Macron, appellent à une « refondation » de l’Europe (cf. le discours à la Sorbonne du 26 septembre 2017), mais se différencient surs ses modalités.

Le Président de la Commission est dans son rôle en préconisant une refondation avec tous les Etats-membres au sein de l’UE : « tous les Etats-membres, sauf deux, sont juridiquement tenus d’adopter l’euro dès qu’ils rempliront les conditions requises ».  Après le départ du Royaume-Uni de l’UE, le Danemark sera, en effet, le seul Etat-membre à bénéficier juridiquement d’une exemption (« opting out »).

Le Président français voit cette refondation avec les dix-neuf Etats-membres de l’UEM (« C’est à partir de l’UEM, en son sein, que nous pouvons créer le cœur d’une Europe intégrée »)

 

4- Dans l’attente de la formation d’un gouvernement en Allemagne 

Quatre mois après les élections législatives, l’Allemagne n’a toujours pas de gouvernement, le gouvernement sortant gérant les affaires courantes. La formation d’une nouvelle coalition gouvernementale CDU/CSU-SPD suscite des réserves internes sérieuses en raison du fort recul enregistré par ces formations lors de ces élections.

Tenant compte de cette situation, le Conseil européen des 14/15 décembre 2017 a décidé qu’au Conseil européen de mars les discussions sur l’UEM seraient politiques et que le Conseil de juin établirait une feuille de route.

Le 21 janvier, les délégués du SPD ont approuvé après des débats tendus et à une faible majorité la formation d’une nouvelle coalition avec la CDU/CSU. Les négociations du contrat de gouvernement devraient prendre plusieurs semaines et l’accord devra être approuvé par les militants du SPD, ce qui n’est pas assuré.

 

La France et l’Allemagne ont célébré le 55e anniversaire du traité de l’Elysée et ont lancé le chantier d’un nouveau traité. L’Europe devrait y occuper une place importante.

 

II- 2018 : Brexit

 

1- La levée des préalables

Le Conseil européen des 14/15 décembre 2017 a acté un accord sur les trois points les plus sensibles conditionnant la sortie du Royaume-Uni de l’UE avant d’entamer les négociations sur les relations futures de l’UE avec le Royaume-Uni :

– le montant du règlement financier pour solder les engagements souscrits par le Royaume-Uni auprès de l’UE s’élève à la somme de 40-60 milliards d’euros (la somme précise n’a pas été rendue publique) dont le paiement sera échelonné sur plusieurs années ;

– en cas de procédures judiciaires, les citoyens européens vivant au Royaume-Uni auront la faculté d’avoir recours à la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) pendant une période limitée à huit ans, soit 2027 ;

– la question la plus épineuse et qui est un vrai casse-tête à la fois juridique et politique (voir la note en annexe) est celle de « la frontière » entre l’Irlande du Nord (l’Ulster) et la République d’Irlande : frontière dure, visible ou frontière invisible comme c’est le cas actuellement en vertu des accords du Vendredi Saint de 1998. Cette question n’a pas été clairement tranchée. Elle ne le sera qu’à l’issue des négociations qui vont s’engager entre l’UE et le Royaume-Uni.

L’accord sur ces trois points a marqué la fin de la première phase du Brexit.

 

2- La période transitoire

Les négociations sur les relations futures de l’UE avec le Royaume-Uni ont été officiellement lancées par le Conseil de décembre dernier. Elles débuteront en mars 2018.

Selon le Président du Conseil européen, Donald Tusk, les négociations de la deuxième phase seront « beaucoup plus difficiles » que celles de la première phase ajoutant que « se séparer et construire une nouvelle relation est encore plus dur ».

Pour que le Brexit ne soit pas trop brutal, il a été convenu qu’une période de transition serait mise en place. La Première ministre britannique, Theresa May, a proposé une période de transition de deux ans après le départ de son pays de l’UE le 29 mars 2019. Le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, considère qu’il serait logique que cette période s’arrête fin 2020, date à laquelle s’achèvera la période financière en cours (2014-2020). Pendant la période transitoire, le Royaume-Uni, tout en étant encore membre de l’UE, n’aura plus de commissaire, ni de députés européens et de droits de vote. Ce n’est pas une situation confortable.

Du côté des vingt-sept, la belle unité affichée jusque-là pourrait se lézarder, le poids des relations commerciales avec le Royaume-Uni étant différent d’un pays à l’autre. Quatrième importateur mondial, le Royaume-Uni a acheté pour 525 milliards d’euros de services et de marchandises dans le monde en 2016 dont 75 milliards à l’Allemagne, 34 milliards aux Pays-Bas, 29 milliards à la France.

 

3- L’avenir

Le référendum de juin 2016 ayant donné une petite majorité au « Brexit » et le gouvernement britannique étant sorti affaibli des élections législatives anticipées de juin 2017, le Royaume-Uni est, sur fond d’incertitude économique, dans une situation délicate.

A ce stade, le Royaume-Uni a annoncé qu’il voulait quitter le marché unique et l’union douanière (politique commerciale commune et tarif extérieur commun), tout en gardant des relations spéciales avec l’UE dans le cadre d’un accord de libre-échange. Le Parlement de Westminster a voté la « Repeal bill » (Loi de retrait de l’UE). Il également voté une disposition exigeant que l’accord sur les relations futures du Royaume-Uni avec l’UE qui aura été négocié par le gouvernement lui soit soumis ce qui va mettre une pression supplémentaire sur ce dernier.

 

III- Autres sujets

 

1- Le cadre financier pluriannuel (CFP)

En 2018 vont s’ouvrir les négociations toujours âpres sur le prochain cadre financier pluriannuel de 2021-2027. La contribution nette britannique au budget de l’UE était chaque année de plus de 10 milliards d’euros faisant du Royaume-Uni le deuxième contributeur net après l’Allemagne. Les pays bénéficiaires des fonds structurels et de cohésion, dont notamment ceux de l’Est, seront très attentifs à ne pas voir diminuer les montants des fonds qui leur sont alloués.

Le Brexit aura un coût pour les deux parties.

 

2- La Pologne

La Commission a décidé d’activer l’article 7 du TUE contre la Pologne pour ses dérives autoritaires et démagogiques. Aux termes de cet article, la Pologne pourrait être privée de ses droits de vote si la procédure allait à son terme. Elle n’a aucune chance d’aboutir car l’unanimité du Conseil est requise pour l’adoption d’une telle résolution. Or, la Hongrie, qui soutient la Pologne, a déclaré qu’elle s’y opposerait. Les gouvernements de ces deux pays ainsi que les deux autres membres du Groupe de Visegrad, la Tchéquie et la Slovaquie, ont recours à des pratiques « illibérales » peu conformes avec les valeurs libérales de l’Europe auxquelles les pays de l’Europe de l’Ouest sont attachés. Un clivage entre les démocraties libérales et les démocraties « illibérales » menace l’unité de l’UE.

Ces dérives ont en grande partie pour origine la crise ou plutôt la révolution migratoire qui a frappé l’UE en 2015. Cette révolution n’est pas comme au XXe siècle une révolution des masses qui a eu besoin, pour réussir, d’idéologie, de mouvements politiques ou de leaders politiques, c’est une révolution de damnés venant de pays faillis qui posent leurs pieds en Europe par simple nécessité. Paneuropéenne, cette crise a provoqué l’apparition de majorités anxieuses craignant qu’elle mette en péril leur mode de vie.

Elle est à l’origine de réflexes d’exclusion gravement contraires aux valeurs d’inclusion de l’UE.

 

3- La Catalogne

En Catalogne, le scrutin du 21 décembre n’a pas été concluant, faute de majorité claire. Le bras de fer se poursuit. La situation actuelle est ubuesque. Le principal dirigeant indépendantiste est toujours à Bruxelles et ne pourrait pas être élu Président de la Généralité de Catalogne s’il n’y était pas présent physiquement. Or, il est toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré par le Tribunal suprême d’Espagne.

L’UE se refuse à intervenir dans une affaire qu’elle considère comme une affaire interne à un Etat-membre mais qui, indirectement, la concerne malgré tout. Dans une déclaration du mois d’octobre 2017, la Commission a cependant lancé comme un avertissement à l’adresse de la Catalogne en rappelant que, « dans le cas d’un référendum conforme avec la Constitution espagnole, le territoire sécessionniste se retrouverait en dehors de l’Union ».

 

 

Christian Casper

 

Annexe

 

Le Royaume-Uni et les deux Irlande

Le casse-tête des deux Irlande.

 

 

 

La question de « la frontière » entre les deux Irlande a fait l’objet d’une concession de la Première ministre britannique lors du Conseil européen des 14/15 décembre 2017. En acceptant un « alignement réglementaire permanent » entre l’Irlande du Nord (intégrée au Royaume-Uni) et la République d’Irlande (membre de l’UE), elle a admis que l’Irlande du Nord puisse continuer d’appliquer les règles de l’UE (marché unique, union douanière), obtenant ainsi l’assentiment du gouvernement de Dublin. Pour ce dernier, l’absence de frontière entre le nord et le sud de l’île, conquête des accords du Vendredi Saint, est une question vitale tant sur le plan économique que pour éviter le retour d’affrontements entre les communautés protestante et catholique. D’apparence technique, la reconnaissance d’un « alignement réglementaire permanent » est cruciale : il évite la « frontière dure, visible » redoutée par la République d’Irlande. Mais il contredit, au moins sur cette portion du territoire britannique qu’est l’Ulster, la décision de la Première ministre britannique de sortir du marché unique et de l’union douanière. Condition. Une sortie du marché unique et de l’union douanière impliquerait, en effet, qu’une « frontière dure, visible » soit établie entre les deux Irlande.

A dessein ambiguë, cette formulation a le mérite d’éluder cette contradiction : elle ne s’appliquerait que si Londres et Dublin n’arrivaient pas à conclure un accord commercial. Magie du verbe et longue pratique du compromis de l’UE, elle est censée satisfaire Dublin tout en étant acceptable par Londres, qui peut soutenir que la solution définitive est renvoyée à la fin des négociations commerciales.

La question des relations entre les deux Irlande, de leurs relations avec le Royaume-Uni et de la réunification de l’île est donc reportée.

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