Convergence des économies de la zone euro et avenir de l’euro, Libres propos de Christian Casper – Paris, mai 2018

Au-delà des agréables et fréquentes références à la France et à l’Europe (UE et zone euro) faites dans le pacte de coalition CDU/CSU-SPD de février 2018, il y a de sérieux écarts entre les performances des économies de la France, de l’Allemagne et d’autres membres de la zone euro. Ces écarts pourraient avoir des incidences sur l’avenir de l’euro s’ils n’étaient pas réduits.

Avec la France, l’écart le plus grave concerne la part de l’industrie dans le PIB : en Allemagne, celle-ci est de 24 % alors qu’en France elle est en chute constante depuis des années et n’est plus que de 12,5 %. C’est pourtant dans l’industrie que la chaîne de création de valeurs est la plus forte. Les produits allemands se situent en haut de gamme où les marges sont élevées et la concurrence moins rude. Ils sont aussi des vecteurs d’image. Les produits français se situent en milieu de gamme où la concurrence est plus sévère. Le rapport Gallois de novembre 2012 intitulé Pacte pour la compétitivité de l’industrie française constatait : « L’industrie française atteint aujourd’hui un seuil critique, au-delà duquel elle est menacée de déstructuration ».

L’Allemagne aime, promeut et défend son industrie tandis que la France ne l’aime guère.

A la différence de la France où les rapports entre l’industrie et l’écologie sont conflictuels, l’Allemagne met l’écologie au service de son industrie. Certes, ce pays a brutalement, ce qui est rare, décidé de sortir du nucléaire. Cette sortie sera, si nécessaire, étalée dans le temps, tant que les énergies renouvelables ne seront pas devenues compétitives.

 

Compétitivité industrielle, largement exportatrice en Europe et dans le monde, et équilibre de ses finances publiques sont les mots-clés de la société et de la classe politique allemandes.

Le pacte de coalition, agréé par le SPD, confirme l’attachement de l’Allemagne à ses équilibres financiers.

En Allemagne, cette position n’est pas nouvelle. Elle a caractérisé sa la politique économique bien avant le traité de Maastricht (1993) qui a lancé l’Union économique et monétaire (UEM). Si l’Union monétaire a été réalisée avec l’euro, l’Union économique est à la traîne : absence de convergence des performances économiques, en particulier des balances courantes, absence d’une politique budgétaire européenne (le budget de l’UE représente 1 % du PIB de l’ensemble des Etats-membres) et difficulté à avancer sur la voie d’une harmonisation fiscale (l’adoption d’une mesure fiscale requiert toujours un vote unanime du Conseil des ministres).

La zone euro se trouve actuellement dans une situation dangereusement asymétrique. Aux excédents de la balance commerciale de l’Allemagne (245 milliards d’euros en 2017), des Pays-Bas, de l’Autriche font face les déficits de plusieurs Etats, dont celui récurrent de la France (62 milliards d’euros en 2017). Globalement, l’excédent de la balance courante de la zone euro est de 3 % du commerce mondial ce qui devrait pousser à la hausse la valeur de l’euro par rapport au dollar. Une telle hausse ne ferait pas les affaires des pays déficitaires d’autant moins que la BCE s’apprête à mettre un frein à sa politique de « quantitative easing ».

L’excédent de la balance courante de l’Allemagne a atteint 8 % en 2017 soit un taux supérieur à celui réalisé par la Chine. A cet excédent s’ajoute désormais un excédent budgétaire tandis que le montant de sa dette fond rapidement. De son côté, la France devrait enfin respecter la règle de 3 % en matière de déficit public ce qui devrait lui permettre de sortir de la procédure pour déficit excessif engagée par la Commission en 2009 tandis que sa dette est installée à un niveau élevé tout en étant légèrement inférieur à la barre symbolique de 100 % de son PIB, barre que dépassent des pays comme l’Italie et la Grèce.

L’Allemagne rechigne à augmenter ses dépenses publiques, à investir et à faire de la relance par la consommation. Sur le plan européen, elle s’oppose à toute « union de transferts ». Les crises des dettes souveraines qui en Europe ont suivi la crise bancaire des Etats-Unis de 2007-2008, les longues et pénibles tractations pour sauver la Grèce de la banqueroute, ont renforcé la méfiance de l’Allemagne qui s’accroche à l’adage « solidarité/responsabilité ». En revanche, les pays déficitaires répugnent à réduire leurs dépenses publiques et à mettre en œuvre des mesures restrictives, notamment dans le domaine social.

Cette absence de convergence économique est due à des degrés de compétitivité, à des choix politiques et à des référents culturels (le mot allemand « Schuld » signifie dette et faute) qui différent d’un pays à l’autre de la zone euro.

On est donc confronté à une situation de blocage puisque l’euro étant une monnaie unique tout réajustement par l’appréciation et la dépréciation de la monnaie est impossible. En clair, cela signifie que l’euro est sous-évalué pour corriger les excédents allemands tandis qu’il est surévalué pour les pays déficitaires.

Enfin, ce blocage a pour conséquence que les écarts (« spread ») des taux d’emprunt sur les marchés varient sensiblement d’un pays membre de la zone euro à un autre.

Les seuls éléments de correction sont, au niveau européen, de nature budgétaire et fiscale.

 

L’enjeu des prochains mois consistant à réformer et à renforcer l’UEM est donc crucial. Si l’Union bancaire semble être sur la bonne voie avec un possible accord sur la garantie au niveau européen des dépôts bancaires des épargnants, l’accord sur les deux projets de transformer le Mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen (FME) d’une part, et plus encore sur le projet d’Union budgétaire, projets qui se heurtent aux réticences des pays du nord de l’Europe seront encore plus difficiles à trouver.

On sait cependant que l’UE avance par des compromis et que l’attachement des citoyens européens à l’égard de l’euro est grand. S’appuyant sur l’ensemble de l’économie de l’Europe, l’euro est pour eux une garantie, une sécurité et peut-être un jour un élément d’identification. C’est également une monnaie qui a sa place parmi les grandes monnaies du monde.

La convergence des économies des pays de la zone euro demeure cependant une impérieuse nécessité pour assurer la pérennité de l’euro. Cet enjeu est plus important que les remous provoqués par la poussée dans plusieurs Etats-membres, la dernière venant d’Italie, de partis politiques qualifiés de populistes dont on doit espérer qu’elle sera éphémère.

 

 Au Conseil européen des 29 et 30 juin prochains, l’Allemagne et la France devraient proposer « une feuille de route » à leurs partenaires sur le renforcement de l’UEM. Il restera peu de temps avant le début de la campagne électorale pour les élections au Parlement européen de mai 2019.

Christian Casper

 

 

 

 

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