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Le bilan d’Angela Merkel, Libres propos de Christian Casper, 18 mai 2021

Le bilan d’Angela Merkel (2005-2021)

Chancelière d’Allemagne pendant 16 ans, elle aura effectué quatre mandats successifs ce qui est une prouesse rare dans les régimes démocratiques où l’alternance est une règle non-écrite.
Elle aura connu trois Présidents des Etats-Unis, deux Présidents démocrates et un Président républicain, et quatre Présidents de la République française, de droite et de gauche, chacun de tempérament bien différent.
Discrète, pondérée, d’apparence simple, ce fut pourtant une redoutable manœuvrière. Après avoir écarté son mentor, Helmut Kohl, elle a éliminé tous ses rivaux. Parmi ceux-ci figure l’influent ministre des Finances, Wolfgang Schaüble, qui préside actuellement le Bundestag. Elle a résisté à toutes les offensives.

Dans le domaine économique, sa réussite est indéniable

Elle a pleinement su profiter des réformes structurelles du marché du travail proposées par Peter Hartz, adoptées et mises en œuvre entre 2003 et 2005 par le gouvernement de son prédécesseur, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder.
Ces réformes libérales ont permis à l’Allemagne de retrouver un taux de croissance élevé reposant sur la compétitivité d’une industrie haut de gamme, c’est-à-dire à forte valeur ajoutée, et exportatrice, tout en réduisant considérablement son taux de chômage. L’Allemagne de 2021 est de loin la première puissance économique de l’UE alors qu’on disait d’elle en 2000 qu’elle était « l’homme malade » de l’Europe. Le haut degré de compétitivité de son économie lui permet d’engranger chaque année de très confortables excédents commerciaux, ce qui n’est pas le cas de la France et des pays du sud de l’Europe dont la compétitivité est sensiblement inférieure à celle de l’Allemagne. Il existe, en effet, des différentiels de compétitivité intrinsèques qui ne sont pas du tout reflétés par le taux unique de l’euro vis-à-vis par exemple du dollar. 
Cette performance est d’autant plus grande que ce pays a eu à supporter le lourd fardeau de sa réunification.,

Pendant ce temps-là, les Français ont continué à jouir des bienveillances de l’Etat-providence tandis que la France décrochait industriellement. Les déficits publics (déficit et dette), le déficit de sa balance commerciale sont devenus récurrents et son taux de chômage est resté proche de 10 %.

Sur le plan économique, l’Allemagne et la France sont en situation asymétrique.
Très pragmatique, Angela Merkel a accompagné le développement de l’économie allemande en se mettant à son service. On ne compte plus le nombre de voyages qu’elle a accomplis en Chine avec des chefs d’entreprise allemands.

L’Allemagne exerçant à son tour la présidence du Conseil de l’UE pendant le deuxième semestre de 2020, Angela Merkel a su in extremis faire approuver, malgré les réticences de plusieurs Etats membres, dont celles de la France, un accord global UE-Chine sur les investissements. Cet accord vient d’être suspendu par l’UE en raison des agissements de la Chine à Hong-Kong et à l’égard des Ouïgours dans la région du Xinjiang.
Contrairement à son comportement prudent, elle a pris rapidement la décision courageuse d’ouvrir son pays en 2015 aux réfugiés/immigrés, sans consulter préalablement les Etats membres de l’UE, notamment ceux qui sont les plus exposés. Elle prit très rapidement une autre décision. Peu après la catastrophe nucléaire de Fukushima, un moratoire a fixé au plus tard à fin 2022 la sortie de l’Allemagne de l’énergie nucléaire. Il est vrai que l’énergie nucléaire est peu appréciée par les Allemands.
En bref, elle a bien servi son pays ce qui après tout est légitime de la part d’une chancelière allemande élue par ses concitoyens.

Dans le domaine européen, sa retenue a pu maintenir l’illusion que le lien entre l’Allemagne et la France était fort, unique, en laissant croire qu’il y avait « un couple franco-allemand » (expression qui n’est pas utilisée en Allemagne) qui dirigerait l’Union européenne (UE). Plus pragmatique que visionnaire, elle n’a rien proposé pour que l’intégration de l’UE progresse et pour la pousser à être plus ambitieuse en s’affirmant davantage dans le monde, en particulier face à l’OTAN, et donc des Etats-Unis. L’Allemagne est restée très attachée au traité de l’atlantique nord et à son article 5 sur l’assistance mutuelle qu’elle considère comme son assurance-vie.
Ses dépenses militaires sont restées à un modeste niveau et sont encore éloignées du taux de 2 % de son PIB.

Lors de la crise des dettes souveraines de 2008-2010, l’Allemagne, pour laquelle la dette est un péché (en allemand, les deux mots n’en font qu’un : « Schuld »), a longtemps résisté avant que l’UE consente à aider la Grèce. A un moment, la tension entre les deux pays a même été très vive, le souvenir de la guerre de 1939-1945 ayant laissé des traces dans les mémoires.
Ce n’est pas sans réticences qu’elle s’est finalement ralliée, avec les autres Etats « frugaux », au plan de relance européen de 750 milliards d’euros destiné à limiter les dégâts économiques et sociaux causés par la pandémie.

En dehors du cadre de l’UE, la coopération entre la France, l’Allemagne et l’Espagne (à partir de 2019) et des industriels européens, dont Airbus et Dassault, a avancé dans le domaine aéronautique. L’ambitieux programme SCAF (système de combat aérien du futur), lancé en 2017 par la France et l’Allemagne, a franchi, une étape intermédiaire importante le 17 mai 2021. A l’issue de longues et laborieuses négociations portant surtout sur la répartition des charges industrielles et sur les droits de propriété intellectuelle, un accord a, en effet, été trouvé sur la phase II de ce programme. Un prototype de l’avion de chasse du futur volera bien en 2027, ouvrant la voie à un avion opérationnel en 2040 qui remplacera le Rafale français et l’Eurofighter allemand en 2040.

Cet accord et son financement doivent encore être approuvés par le Bundestag avant la date-limite du 30 juin qui marquera la fin de la vingtième législature. Les autres étapes de ce projet seront négociées pendant l’après-Merkel.

On notera que les Britanniques, les Italiens et les Suédois travaillent sur un projet de même nature, le projet Tempest.  

Dans le domaine de la politique internationale, même si sa politique étrangère a montré que l’Allemagne souhaitait assumer davantage de responsabilités, elle a eu tendance à rester en retrait sur la scène internationale.
En dépit des relations diplomatiques difficiles que l’UE et les Etats-Unis entretiennent avec la Russie de Poutine, elle a continué à soutenir le projet de gazoduc Nord Stream 2, l’intérêt de l’économie allemande passant devant les considérations géopolitiques.
L’intensité des relations économiques que l’Allemagne a avec la Chine ne lui permet pas de porter des jugements trop sévères sur le comportement de ce pays en matière de droits humains.

Sa succession
Dans une Allemagne riche et apathique, l’usure du pouvoir a fait son œuvre. C’est souvent le cas des règnes trop longs.

La campagne électorale commence à peine. Le parti « Die Grünen » obtient des sondages flatteurs. Son programme prévoit de faire des investissements lourds qu’il faudra financer, soit par des hausses d’impôts, ce que les électeurs n’aiment pas, soit en recourant à l’endettement, ce que les Allemands n’aiment pas.
A ce stade, il est trop tôt pour discerner quelle coalition aura à assumer l’exercice du pouvoir après les élections fédérales du 26 septembre. Toutefois, les deux grands partis chrétien-démocrate et social-démocrate ne semblent plus en mesure de former, comme cela a été souvent le cas, une « Grosse Koalition ».

L’après 2021 : l’Allemagne, honnie de 1945, est en 2021 un pays exemplaire (démocratie, respect des droits humains, environnement etc.). La gestion rigoureuse de son économie et de son marché du travail a fait d’elle la quatrième puissance économique au monde.

La génération, qui exercera désormais les responsabilités politiques et économiques, voudra-t-elle que l’Allemagne dispose dans les affaires du monde d’un rang et d’une influence que sa puissance économique pourrait lui donner ?

Christian Casper,
18 mai 2021

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