L’Europe et ses religions

Retour sur la conférence d’Elie Barnavi à la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale en partenariat avec le ME-Paris du 24 mars 2015.

L’auteur de ce billet, Rémy Gerbet, secrétaire général du Mouvement européen Paris, nous fait part de ses réflexions personnelles à la suite de la conférence donnée sur le thème l’Europe et ses religions.

Afin d’alimenter l’analyse de chacun et nous invite à lire l’ouvrage d’Elie Barnavi « Les religions meurtrières » (Ed. Flammarion, 2006).

Deux mois après les attentats de Paris et seulement quelques jours après celui du Bardo en Tunisie, Elie Barnavi, historien spécialiste des guerres de religions au XVIe siècle, ancien ambassadeur d’Israël en France et directeur du comité scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles, était invité par le ME-F Paris à s’exprimer sur ce sujet de « L’Europe et ses religions. »

Rappelant aux participants la valeur historique du bâtiment de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale érigé en 1801, Olivier Mousson remercia chaleureusement Elie Barnavi d’avoir accepté l’invitation du ME-F Paris.

Comme une connexion à travers les âges, La Société d’encouragement, dépositaire de la philosophie des Lumières, accueillait une conférence sur le retour du religieux dans l’espace public européen depuis plus de 10 ans. Un retour marqué par un tel niveau de violence, qu’il menace cet esprit des Lumières, fondement de la construction européenne.

Elie Barnavi, fin observateur de la politique européenne, commença par se remémorer les critiques reçues à propos de son livre intitulé l’Europe frigide.

Un titre fort qui révèle une déception à la hauteur de son idéal européen. La construction européenne représente un saut de civilisation, un saut dans l’inconnu, sans précédant dans l’histoire de l’humanité.

Pour Elie Barnavi, la perte de souveraineté, sans contrainte, au profit d’une structure supranationale est une chose inouïe. Mais les Européens n’en ont pas conscience et il les appelle à « Ne pas se perdre dans la médiocrité »

En tant que spécialiste des guerres de religions au XVIe siècle, Il étudia dans son premier livre, tiré de sa thèse et intitulé le Parti de Dieu, la Ligue catholique, cette organisation religieuse radicale qui ne fut finalement vaincue que par Henri de Navarre.

Or, il existe des permanences et des structures mentales similaires entre la Ligue catholique et les mouvements religieux radicaux contemporains. Elie Barnavi prévient que la question est ici abordée dans un aspect politique et social, non théologique.

La civilisation européenne est liée au christianisme dès le moment où les fondateurs de l’Eglise chrétienne choisirent Rome pour capitale. Au Moyen-âge, il existe bien cette idée d’une République chrétienne avec à sa tête un duo constitué par l’empereur et le pape.

A cause de son histoire, la religion chrétienne est la seule religion séculière, c’est-à-dire effectuant une distinction claire entre l’Etat et l’Eglise. Dès la chute de l’Empire romain, la pratique politique européenne est marquée par cette dualité, par cette théorie des deux glaives. Bien que l’Etat et l’Eglise soient intimement liés jusqu’au XIXe siècle, cette distinction a facilité la séparation.

Or, comme le rappelle Elie Barnavi, il n’existe rien de similaire dans les deux autres grandes religions monothéistes. Dans l’islam, il n’existe pas d’équivalent au mot « religion », soit un champ d’activité distinct d’autres champs d’activité,  mais seulement dîn, la Loi. C’est que, dans l’Islam comme dans le judaïsme, et à la différence notable du christianisme, la religion y a précédé l’Etat. Il en va de même avec « laïc » et « séculier ».

L’Union Européenne, à quelques exceptions près, s’est construite sur ce socle catholique et protestant.

Elle comporte à l’est un « limes » orthodoxe : une autre Europe obéissant à un autre modèle, l’héritage byzantin et tsariste, celui du césaro-papisme, qui s’est trouvé une nouvelle jeunesse avec Vladimir Poutine. Le limes méridional est constitué des anciens espaces administrés par l’Empire ottoman jusqu’au XXe siècle.

Il est en recul depuis plusieurs siècles et a aujourd’hui presque disparu. Cette Europe occidentale et centrale est bâtie sur un paradoxe. Sortie du religieux depuis plus d’un siècle, elle est aujourd’hui composée d’une mosaïque de religions et de systèmes de croyances. Bien qu’elle soit encore majoritairement chrétienne, l’arithmétique fait illusion selon Elie Barnavi. L’Eglise catholique n’envisage plus de jouer un rôle politique.

Les églises protestantes ne l’ont jamais demandé. Le judaïsme, implanté depuis des siècles en Europe, comptant environ 1 million de fidèles et accoutumé du fait minoritaire, ne pose guère de problème. Elie Barnavi constate tout de même un certain repli communautaire depuis quelques années.

Il en va différemment de l’islam, religion universaliste à l’égal du christianisme, qui compte de 30 à 35 millions de fidèles en Europe et qui vit très mal le fait minoritaire. Religion prosélyte, il est un facteur identitaire qui s’exprime dans l’espace public. Et aux marges, il peut se transformer en une « idéologie politique de combat ».

En français, les médias et les politiques utilisent régulièrement le terme d’intégrisme religieux là où les anglo-saxons parlent de fundamentalism. Dans les deux cas, ces mots ne sont pas suffisants pour décrire la réalité de ces mouvements.

L’intégrisme est le rejet de toute innovation en matière religieuse tandis que le fondamentalisme est l’application littérale de la religion qui s’accompagne souvent d’une volonté de retour aux sources.

Or, il existe des mouvements fondamentalistes ou intégristes dans les trois religions monothéistes. Les Amish, l’Eglise des Saints des Derniers jours, les ultra-orthodoxes juifs et d’autres encore.

Le vrai problème est ailleurs et se trouve dans la volonté d’imposer un modèle socioculturel alternatif. Ainsi, Elie Barnavi privilégie les mots de fondamentalisme révolutionnaire ou de religion radicale, c’est-à-dire une idéologie politique totale d’inspiration religieuse et qui cherche à s’imposer par la violence.

Les affrontements éclatent entre les religions, entre les radicaux et l’Etat qui se réclame de la même famille spirituelle avec un schéma commun (Grand Israël + halakha ; Califat + charia) et enfin, entre l’islam radical et l’Occident athée.

Or, les ressorts de tels conflits échappent aux Européens et leur esprit rationnel. Ils n’ont plus les clés nécessaires pour analyser et comprendre les motivations de ces groupes radicaux. Alors, ils cherchent d’autres raisons, « rationnelles » : politiques, sociales, économiques. Elles existent mais Elie Barnavi rappelle que la raison première est toujours la religion. Elle n’est pas un prétexte.

L’Etat Islamique vise à l’établissement d’un califat mondial et il faut prendre au sérieux cette revendication qui peut paraître absurde pour un Occidental.

Les monothéismes reposent tous sur le triptyque : temps linéaire, révélation de la vérité et un Livre sacrée. Ainsi le souhait d’un retour aux sources est déjà un paradoxe comparé au message religieux et en même temps Elie Barnavi soulève la question de la viabilité de ces mouvements sans la modernité. Que serait Al-Qaïda sans la fluidité des capitaux et la communication de masse ? La première véritable tentative de retour est celle menée par l’EI.

La lutte prenant un caractère purificateur et donc d’éradication sans aucun compromis ne peut que surprendre les Occidentaux habitués à la négociation et aux compromis. Or l’EI ne demande rien. Et l’Europe est un champ de combat privilégié à cause des deux facteurs suivants :

Effondrements des blocs et disparition des religions de substitution comme le communisme

Les caractéristiques même de l’Europe : démocratique, libre et multiconfessionnelle, la rendent vulnérable.

Elie Barnavi conclut son propos en prévenant que ce type de violence religieuse n’est malheureusement pas prêt de disparaître.

Rémy Gerbet

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