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L’avenir de l’Europe passe t-il par le numérique?

Le 9 avril 2015,

La présidence lettone du Conseil de l’UE a pour objectif de parvenir à la création d’un marché numérique européen avec l’établissement de règles communes. Les avantages attendus sont multiples :

Faciliter les échanges via internet en Europe avec des retombées positives pour l’emploi et la croissance, une meilleure protection du consommateur, mais aussi combler le retard pris par rapport aux concurrents américains et asiatiques. Le poids international d’entreprises tels Google et Apple ainsi que les révélations d’Edward Snowden révèlent que l’UE se doit et s’il le faut de réagir face aux mutations technologiques qui bouleversent l’ensemble des secteurs productifs.

Afin de compléter ce compte-rendu, je vous invite à lire les articles suivants :

Dans le cadre de la présidence lettone du Conseil de l’Union européenne, l’Ambassade de Lettonie en France, la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (SEIN) et le Mouvement Européen de Paris, ont organisé au SEIN une conférence-débat sur la question de l’Europe numérique.

Cette question est, en effet, au cœur des priorités de la présidence lettone qui prendra fin en juin 2015.

En présence de Son Excellence Mme Sanita Pavluta-Deslandes, Ambassadeur de Lettonie en France, cette conférence-débat a réuni:

  • Arnis Daugulis, sous secrétaire d’Etat pour l’Information et la technologie au Ministère de la protection de l’environnement et du développement régional de la Lettonie
  • Martin Bailey, Chef de l’unité « Marché unique numérique » de la DG Connect à la Commission européenne
  • Bernard Benhamou, Secrétaire Général de l’Institut de la Souveraineté numérique
  • Jean-Marie Cavada, député européen et président du Mouvement-Européen France.

Le débat étant suivi du vernissage de l’exposition « De Nulle Part » de l’artiste letton Gints Gabrans, Olivier Mousson, président de la SEIN et co-président du ME-Paris, en guise d’introduction, rappela à l’assemblée le lien étroit qui a toujours existé entre la technique et l’art.

La salle Lumière, où se tenait l’évènement de cette soirée, fut également le lieu de la première projection cinématographique. Ainsi, la sphère numérique, qui capte une part importante de la production artistique depuis le début du XXIe siècle, et qui ignore les frontières est une préoccupation relativement récente de l’UE.

Son Excellence Mme Sanita Pavluta-Deslandes présenta les opportunités offertes à la Lettonie par la présidence du Conseil de l’UE. Non seulement, elle permet au pays de montrer son savoir-faire administratif et de gestionnaire, mais aussi, de faire connaître aux autres Européens l’histoire, le patrimoine et la culture de l’Etat letton.

Elle ajoute que la Lettonie étant rentrée dans l’UE il y a plus de dix ans, c’est la première fois qu’elle en prend la présidence tournante. Ainsi, l’Etat letton ne pouvait plus être considéré comme un nouveau membre de l’UE. Son Excellence Mme Sanita Pavluta-Deslandes laissa la parole au modérateur du débat, Jean-Marie Cavada, qui choisit de lancer la discussion en demandant à chacun des invités de réagir à la question

« L’avenir de l’Europe passe-t-il pas le numérique »

Martin Bailey répondit en affirmant que ce n’était pas seulement l’avenir qui était en jeu mais bel et bien le présent.

Tous les aspects de notre vie sont déjà affectés par le numérique. Selon lui, le monde vit une révolution dont les enjeux sont très similaires à ceux que l’Europe a connu au tout début du XIXe siècle. Cependant, pour étayer encore son propos, il rappelle que la Loi de Moore, qui postule que le nombre de microprocesseurs et de transistors sur une puce, double tous les 18 mois environ, a été sous-estimé.

Les changements sont tellement profonds et rapides que l’on doit s’adapter très rapidement. Cette révolution numérique menace notamment tous les emplois qui sont remplaçables par des puces. Or ces emplois sont majoritairement occupés par la classe moyenne.

Bernard Benhamou partage les idées de M. Bailey. Il s’interroge sur les raisons qui ont conduit l’Europe à cette situation. Selon lui, celle-ci vient du fait que l’Europe a largement manqué le virage de l’internet en sous-estimant les mutations que le web allait provoquer. L’UE aurait depuis lors une relation contrariée vis-à-vis de la technologie alors que tous les aspects de notre vie ont aujourd’hui une traduction numérique.

Tous les secteurs se sont adaptés et ont été modifiés en profondeur avec l’arrivée de l’ère numérique.

L’UE et les Etats membres doivent prendre en compte cette nouvelle donne et agir sans délais. Ceci d’autant plus que comme dans tout domaine récent et connaissant une croissance exponentielle, Google comme Apple, peuvent se tromper. Ses erreurs peuvent être exploitées par leurs concurrents, si seulement ils en existaient.

L’UE a un rôle à jouer dans ce domaine. Elle doit donner les moyens dont les chercheurs ont besoin pour innover et ainsi éviter « la vassalisation technologique » que la Californie pourrait nous imposer. M. Benhamou appelle à une réelle prise de conscience des enjeux. On doit agir: c’est un domaine qui relève de notre souveraineté.

Jean-Marie Cavada, réagissant à ces propos, se tourne vers M. Arnis Daugulis pour lui demander ses attentes vis-à-vis du marché numérique que la Lettonie tente de mettre en place au niveau européen alors que la branche de téléphonie mobile de Nokia, dernier géant européen dans les télécoms, est passée depuis 2013 sous contrôle de Microsoft.

De gauche à droite : M. Martin Bailey, M. Bernard Benhamou, M. Arnis Daugulis et M. Jean-Marie Cavada

M. Arnis Daugulis montra la priorité pour l’UE de se doter d’un marché numérique unique à la place des 28 existants en adoptant une législation commune. Alors que la majorité des PME font leur chiffre d’affaire via internet, l’adoption d’un marché européen du numérique permettrait de doper leurs activités.

Il rappelle que la Lettonie possède le 3e réseau internet le plus rapide de l’UE et que, depuis plusieurs années, le gouvernement letton s’est investi dans ce domaine. Il exposa le calendrier des négociations établi par la présidence. Il termina en évoquant les opportunités pour la démocratie que permettrait l’unification du réseau européen. Il prend comme exemple les initiatives citoyennes online qui existant en Lettonie et qui permettent aux citoyens de proposer des projets au Parlement.

Jean-Marie Cavada  interroge les intervenants sur la nécessité de favoriser l’apparition d’une ou plusieurs entreprises du numérique qui pourraient combler le retard pris par les industries européennes.

M. Bernard Benhamou réagit en prenant dans un premier temps l’exemple de l’annonce de la volonté d’Apple de se lancer dans l’industrie automobile. Cette simple hypothèse a fait frissonner le monde économique pour la simple raison qu’aucune autre entreprise ne dispose d’une force de contact et de vente égalant celle d’Apple.

Aujourd’hui, il n’est plus question d’entreprise verticale exerçant leur suprématie dans un secteur bien particulier. En Europe, on a cru que nos géants (les grandes entreprises européennes ont une moyenne d’âge de 100 ans) demeureraient dans leur domaine mais les technologies sont  vulnérables et les jeunes entreprises de la Silicon Valley (moyenne d’âge 25 ans) ont développé un tout autre modèle:un modèle horizontal reposant sur des réseaux. Un autre exemple vient de Google qui rachète massivement les bio-techs.

Tout le spectre de l’activité économique s’en trouve redéfini. Il faut y faire très attention car cela risquerait de déboucher vers une antithèse de la démocratie dans un monde où les technologies seraient toutes concentrés entre les mains de grands groupes industriels.

Martin Bailey complète les propos de M. Benhamou en proposant tout d’abord de réimplanter des industries du numérique en Europe. Puis en égalisant les marchés par la création d’un espace d’achat et de vente en ligne plus sécurisé donnant accès à l’ensemble du marché européen. Il prend l’exemple du site de réservation d’hôtels en ligne Booking, où en fonction des pays d’où l’on émet une réservation, le client n’a pas accès à tous les hôtels d’un autre pays où il souhaite se rendre. C’est ce que l’on appelle le « geoblocking ». Ces barrières au commerce en ligne au sein même de l’Union Européenne représentent parfaitement l’inadaptation de l’Europe aux enjeux économiques de demain. Enfin, la seconde étape consisterait à mettre en place un ensemble de règles communes dans tous les pays européens. Il met l’accent sur la différence de mentalité de part et d’autre de l’Atlantique en disant que :

« En Europe tout est interdit avant d’être autorisé alors qu’aux Etats-Unis tout est autorisé avant d’être interdit ».

Jean-Marie Cavada réagit en rappelant le nombre important d’entreprises européennes qui viennent à Bruxelles demander une protection de l’UE contre Google et Apple. M. Martin Bailey répondit en faisant remarque que la Commission européenne ne dispose que des outils que les Etats membres lui ont donnés.

Jean-Marie Cavada pose aux intervenants la question de l’efficacité de nos règles sur la concurrence face à cette ère du numérique et poursuit sa réflexion en interpellant les participants et la salle sur la nécessité « d’imposer les entreprises là où elles gagnent de l’argent ».

Bernard Benhamou émet le constat que l’UE doit aller vers une plus grande sévérité vis-à-vis des entreprises américaines afin de parler le même langage.

En conclusion, Jean-Marie Cavada évoque en tant que député européen et homme politique la démarche qu’il a entreprise pour que l’UE accorde un passeport à Monsieur Edward Snowden après ses révélations sur les écoutes de la NSA.

Les révélations de l’ex-analyste de la NSA doivent, selon lui, amener les Européens à une prise de conscience massive concernant les enjeux de l’ère numérique non seulement en termes de compétitivité mais également de souveraineté.

Quelques jours après cette conférence-débat, la commissaire européenne à la Concurrence Mme Margrethe Vestager a lancé une procédure pour abus de position dominante contre le groupe Google.

 

Ce compte-rendu a été rédigé par Rémy Gerbet, secrétaire général du ME-Paris en liaison avec Christian Casper responsable des contributions et des débats.

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