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Libres propos de Christian Casper – Avril 2019

Brexit : Procrastination

 

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne connaît pas son port de destination. »

Sénèque

Devant les sérieuses difficultés rencontrées pour faire adopter par la Chambre des communes l’accord de retrait de novembre 2018 ou lui faire voter un amendement « alternatif et indicatif », la Première ministre britannique, Theresa May s’est résolue le 5 avril à adresser au Président du Conseil européen, Donald Tusk, une lettre demandant une prorogation jusqu’au 30 juin du délai de deux ans prévus à l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE).

La date du 12 avril (date d’expiration de la première prorogation) s’approchant dangereusement, celui-ci a alors convoqué une réunion extraordinaire du Conseil européen le 10 avril.

A l’issue de longues délibérations où, pour la première fois, de sérieuses divergences sont publiquement apparues entre une majorité d’Etats membres, dont l’Allemagne, favorables à une prorogation d’environ un an et ceux, comme la France, désireux que cette prorogation soit très courte, le Conseil européen a adopté dans ses conclusions une solution intermédiaire et « flexible » en fixant au 31 octobre 2019 l’échéance de celle-ci, tout en précisant que : « Si l’accord de retrait est ratifié par les deux parties avant cette date, le retrait interviendra le premier jour du mois suivant ».

En soulignant que cette prorogation ne saurait compromettre le bon fonctionnement de l’Union et de ses institutions, le Conseil européen a décidé que : « Si le Royaume-Uni est encore membre de l’UE entre le 23 et le 26 mai 2019 et qu’il n’a pas ratifié l’accord de retrait d’ici au 22 mai 2019, il sera tenu de procéder aux élections au Parlement européen conformément au droit de l’Union. Si le Royaume-Uni ne respecte pas cette obligation, le retrait interviendra le 1er juin 2019 ».

Jusqu’aux élections au Parlement européen du 23 au 26 mai, le Royaume-Uni peut donc encore sortir de l’Union si la Chambre des communes finissait par adopter l’accord de retrait à l’issue d’un quatrième vote.

Mais, comme « the clock is ticking » désormais de façon extrêmement pressante, il serait surprenant en cette fin de mois d’avril que le Royaume-Uni ne soit pas tenu d’organiser des élections au Parlement européen, ce qui signifie que 73 députés britanniques y siégeront au début de la prochaine mandature avec les mêmes droits que leurs collègues. Les partis politiques s’organisent pour tenir ces élections et les premiers sondages donnent le Brexit party de Nigel Farage en tête avec 27 % des suffrages.

Cette situation, plus que paradoxale, s’explique par le fait que les deux parties ne veulent pas d’un « no deal », c’est-à-dire d’une « sortie désordonnée » qui leur serait gravement préjudiciable, tant sur le plan économique que sur le plan géopolitique.

En outre, comme l’avait encore rappelé Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE, avant la réunion de ce Conseil, l’Union « ne prendra jamais la décision d’un no deal ». Pour celui-ci, il ne pourrait s’agir que d’un « choix des Britanniques ».

Au final, et malgré la volonté convergente des Vingt-Sept de l’éviter, le piège du Brexit s’est refermé sur l’Union. Non seulement les prochains Conseils européens continueront d’être pollués par ce sujet, mais d’autres extensions sont désormais possibles, sans qu’une véritable fin soit en vue. Le Royaume-Uni est parvenu à obtenir une nouvelle concession, certes encadrée par des dispositions adoptées par le Conseil européen « qui restera saisi de la question », alors que rien ne laisse prévoir pour le moment que l’accord de retrait puisse être finalement approuvé par la Chambre des communes.

Dans un tweet émis à l’issue de ce Conseil européen, le puissant secrétaire général de la Commission, Martin Selmayr a écrit : « le 29 mars, c’est-à-dire le 12 avril, c’est-à-dire le 31 octobre, c’est-à-dire… ».

Après les élections au Parlement européen et avant le 31 octobre, l’organisation d’un second référendum ou la convocation d’élections générales sont des hypothèses plausibles. Cependant, leur organisation demande du temps. En fait, même les hypothèses les plus extrêmes, i.e. le « no deal », c’est-à-dire une sortie désordonnée, ou la révocation de l’article 50, sont envisageables. Une telle révocation reviendrait à annuler le résultat du référendum du 23 juin 2016 trois ans après le vote des Britanniques !

Ce qui pourrait se profiler, c’est une sortie du carcan du calendrier de l’article 50 du TUE et la négociation d’un accord spécifique avec un Etat membre qui jouit déjà de quatre dérogations (opting-out), dont l’une porte sur l’Union économique et monétaire et l’autre sur l’Espace Schengen.

Lucide et toujours adepte d’un bon mot, l’ancien député européen Jean-Louis Bourlanges a dit à propos du Brexit : « Le Royaume-Uni a toujours eu dans l’Union un pied dedans, un pied dehors, et il aura un pied dehors, un pied dedans ».

Christian Casper, avril 2019

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