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Libres propos de Christian Casper, décembre 2020

Union européenne (UE)

Les vetos de la Hongrie et de la Pologne bloquent l’adoption du cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE 2021- 2027 et du plan de relance « Next Generation ». La conception du respect de l’état de droit est au centre du débat.

Lors d’un Conseil européen marathon qui a duré quatre jours et quatre nuits, les Vingt-Sept Etats membres de l’UE se sont mis d’accord le 21 juillet 2020 sur un plan de relance de 750 milliards d’euros, réparti en subventions et en prêts, et adossé à un CFP 2021-2027 de 1 074 milliards d’euros.

Cet accord devait être adopté par le Parlement européen pour pouvoir être mis en œuvre. Près de quatre mois plus tard et à la fin de huit cycles de négociations entre ce dernier et le Conseil, un compromis a fini par être trouvé le 10 novembre, le Parlement européen ayant obtenu que le CFP soit augmenté de 16 milliards d’euros.

Et pourtant les Etats membres sont pressés de toucher les fonds de ce plan de relance pour pouvoir compléter leurs propres plans nationaux de relance, diminuer leur recours à l’endettement et faire repartir leurs économies durement affectées par les mesures qu’ils ont prises pour lutter contre la pandémie.

En fait, ce retard est essentiellement dû à des Etats-membres du nord de l’UE (« les « frugaux » : Pays-Bas, Autriche, Suède et Danemark) toujours très réservés sur ce plan de relance qui prévoit des dettes communes, et au Parlement européen soucieux du respect de l’état de droit. Le Parlement européen en a fait « une ligne rouge* ». Un mécanisme de conditionnalité liant versement des fonds et respect de l’état de droit a laborieusement été établi et il était espéré qu’il serait assez souple pour que la Hongrie et la Pologne ne s’y opposent pas.

Peine perdue, l’Allemagne qui exerçe la présidence semestrielle du Conseil de l’UE jusqu’à la fin de l’année l’a reconnu le 19 novembre à l’issue d’un Conseil européen virtuel, et, le 26 novembre, les deux premiers ministres polonais et hongrois ont confirmé leur opposition à ce mécanisme de conditionnalité en publiant une déclaration dans laquelle ils ont confirmé qu’ils ne lèveraient pas leur veto**.

Habilement, ils proposent de dissocier les deux sujets en suggérant d’avancer sur le dossier financier et de différer la question du lien entre celui-ci et l’état de droit. Cette proposition n’a pratiquement aucune chance d’être retenue par les Etats « frugaux » et surtout par le Parlement européen.

Ces deux Etats font de cette affaire une question de principe d’autant plus sérieuse qu’ils seraient parmi les grands bénéficiaires du plan de relance européen. Ils estiment que le mécanisme de la conditionnalité porte atteinte à leur souveraineté nationale.  Viktor Orban a ainsi pu dire : « Une démocratie n’est pas nécessairement libérale. C’est précisément parce qu’elle n’est pas libérale qu’elle peut encore être une démocratie ». Or, leurs régimes, qualifiés d’ « illibéraux », s’opposent à la démocratie libérale et à l’état de droit qui sont au cœur de la construction européenne.

Pour contourner ces vetos, trois voies sont possibles :

– la saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour résoudre des désaccords sur des textes de droit. Elle a été préconisée par la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Elle a peu de chance d’être entendue ;

– le retrait de la procédure judiciaire engagée au titre de l’article 7 du traité sur le l’Union européenne pour non-respect de l’état de droit. Mais les deux pays, qui font preuve d’une grande solidarité, n’ont rien à craindre de cette procédure puisque des sanctions ne peuvent être décidées que si elles sont prises à l’unanimité, moins la voix de l’Etat concerné ;

– un recours à la procédure de « la coopération renforcée ». Il peut être enclenché par 9 Etats-membres. C’est une procédure qui a déjà été utilisée. Elle prend du temps.

Il reste la voie diplomatique.

L’Allemagne devrait faire des propositions pour sortir de cette impasse. Les autres Etats, dont ceux du sud, doivent exercer une forte pression sur la Hongrie et la Pologne.

Si le désaccord persistait, l’UE pourrait continuer à fonctionner grâce au système des douzièmes provisoires ; en revanche, même en cas d’accord, les premiers versements des fonds du plan de relance européen aux pays bénéficiaires seront effectués beaucoup plus tard que prévu.

Christian Casper, décembre 2020

* « L’Etat de droit ne concerne pas un pays, l’Est ou l’Ouest. Il est neutre et s’applique à tous, si vous respectez l’Etat de droit il n’y a rien à craindre » a déclaré Manfred Weber, le chef de file du PPE (droite), principal groupe au Parlement européen, estimant que priver l’Europe entière de financements en pleine crise était « irresponsable ».

** Le veto sur le plan de relance porte sur la partie augmentation des ressources propres de l’UE, qui relève d’une décision unanime dès qu’il s’agit de fiscalité, destinée à permettre à la Commission de s’endetter pour financer ce plan.

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