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Vous avez dit  » Brexit » ? (partie 2 du 21-29 mars)

 

I- Vous avez dit Brexit (période du 21-29 mars) ? 

« Si je comparais la Grande-Bretagne à un sphynx, le sphynx me paraîtrait être un livre ouvert » : Jean-Claude Juncker

 Prenant le relais de la Commission, le Conseil européen s’est réuni le 21 mars pour débattre du Brexit. Chaque mot de ses conclusions (voir en annexe) a été pesé au trébuchet. Il a approuvé le copieux accord de retrait (600 pages auxquelles il faut ajouter les quelques pages de la déclaration politique) conclu en novembre 2018 entre le Royaume-Uni et l’UE (voir le § 3 précisant que cette approbation inclut la déclaration commune convenue à Strasbourg le 11 mars dernier disant que la clause de backstop « n’avait pas vocation à durer de façon indéfinie ». Il a longuement débattu (voir le §4) de la demande de report de la date de sortie de l’UE au 30 juin (au lieu du 29 mars) qui lui avait été notifiée la veille. Ce report était motivé par le refus massif d’approuver cet accord exprimé par la Chambre des communes le 15 janvier et à nouveau le 12 mars.

Le Conseil européen a adopté un calendrier serré et à double détente :

– prorogation jusqu’au 22 mai si l’accord de retrait est approuvé par la Chambre des communes la semaine prochaine ;

– si cet accord n’était pas approuvé, prorogation jusqu’au 12 avril 2019 (date-limite à laquelle des élections peuvent être techniquement organisées pour être tenues entre le 23-26 mai) et « attend du Royaume‑Uni qu’il indique avant cette date une voie à suivre, en vue de son examen par le Conseil européen ».

Ce membre de phrase signifie que le Conseil européen considère qu’il y d’autres options que les deux options sur la table (l’accord de retrait ou, à défaut, le « no deal ») et a ouvert la possibilité d’une nouvelle prorogation de l’article 50.

L’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne ont exprimé leur souhait que le Conseil européen reste ouvert, tandis que la France, soucieuse de ne pas rentrer dans un processus interminable de négociations, s’est montrée plus ferme : le rejet de l’accord de retrait signifiera « no deal ».

Toutefois, le Conseil européen a voulu maintenir la pression sur la Royaume-Uni (voir le §5) en demandant que les préparatifs de sortie sans accord soient accélérés.

*

Au Royaume-Uni, la situation politique est restée à la fois tendue et confuse reflétant la division du pays, des deux grands partis politiques ainsi que leurs profondes divisions internes. A ces divisions vient s’ajouter la détermination des dix députés du parti unioniste d’Irlande du nord (le Democratic Unionist Party) de ne pas voir leur territoire s’écarter juridiquement du Royaume-Uni. Or, depuis les élections de juin 2017, qui ont suivi la dissolution décidée par Theresa May, le vote de ces dix parlementaires est déterminant pour qu’elle réunisse une majorité.

Theresa May, courageuse voire obstinée, a été vivement attaquée et a subi plusieurs camouflets depuis plusieurs semaines. Le dernier a été celui infligé le 25 mars par un député de son propre parti, Olivier Letwin, quand la Chambre a voté son amendement lui enlevant la maîtrise de l’ordre du jour, maîtrise qui a été transférée au speaker, John Bercow, puis quand ce dernier a refusé à Theresa May que l’accord de retrait fasse l’objet d’un troisième vote sur un même texte en se fondant sur une ancienne jurisprudence.

Le 27 mars a été une journée cruciale. D’une part, le speaker a finalement accepté qu’un troisième vote soit effectué sur un accord de retrait amputé de sa déclaration politique comprenant les principes devant guider les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union en considérant, d’une part, que cette amputation était une modification « substantielle » et, d’autre part, quand le speaker, après avoir fait le tri entre les amendements déposés par les députés, a autorisé le vote de 8 amendements « alternatifs et indicatifs ». 

Ce même jour, elle a annoncé devant son parti qu’elle démissionnerait si l’accord de retrait était approuvé à l’occasion de ce troisième vote.

Dans la soirée, les 8 options retenues par le speaker ont été rejetées. Seules les options en faveur d’une union douanière qui a obtenu 272 voix contre, 264 pour, ainsi que celle sur celle sur un référendum rejeté par 295 voix contre, 268 voix pour, ont obtenues des scores très significatifs. Les 6 autres options ont été sèchement repoussées.

Le lendemain, un quotidien britannique titrait que la Chambre des communes ne savait dire que : « No, No, No, No etc. ».

Le troisième vote sur l’accord de retrait s’est tenu le 29 mars. Il a abouti à un nouveau rejet avec cependant un écart de voix très sensiblement inférieur à ceux des votes précédents (58 voix d’écart contre respectivement 230 voix le 15 janvier et 149 le 12 mars). Plusieurs « hard brexiters », dont Boris Johnson -qui en n’est plus à un revirement près-, ont, en effet, changé leur vote de crainte que le Brexit soit indéfiniment reporté tandis que les députés du Democratic Unionist Party et quelques députés conservateurs sont restés intransigeants.

La décision de Theresa May de mettre sa démission dans la balance n’a donc pas été suffisante. Paradoxalement, ce rejet l’a délié de sa promesse de démissionner puisque l’accord de retrait n’a pas été approuvé. Sa situation politique reste cependant très précaire non seulement à la Chambre mais également au Cabinet, plusieurs ministres brandissant leur démission. Cependant, elle ne peut pas faire l’objet d’une censure avant décembre 2019, un délai d’un an étant requis après le rejet de la motion de censure déposé en décembre 2018.

La Commission a réagi après ce vote en déclarant qu’une sortie sans accord devenait un scénario probable. Le Président de la République a été plus net en déclarant « qu’il appartenait d’urgence au Royaume-Uni de présenter dans les tout prochains jours un plan alternatif » c’est-à-dire au plus tard le 12 avril pour communiquer au Conseil européen « la voie à suivre en vue de son examen ».

En toute hypothèse, l’accord de retrait de novembre 2018 peut être tenu pour mort (sauf recours à un hypothétique quatrième vote) et tout report sera nécessairement long ce qui signifierait que le Royaume-Uni devrait, en principe, procéder à des élections européennes entre le 23 et le 26 mai.

Devant cette situation ubuesque, le Président du Conseil européen, Donald Tusk, a convoqué une réunion extraordinaire de ce Conseil le 10 avril.

Fin mars, toutes les péripéties et beaucoup de scénarios, y compris de nouvelles élections et un deuxième référendum, sont encore possibles car que veulent les britanniques et leurs représentants à la Chambre des communes et quelle option le Conseil européen est-il susceptible d’accepter à l’unanimité ?

Dans années 1950, André Siegfried commençait son cours par cette phrase : « L’Angleterre est une île, et je devrais m’arrêter là ».

 

II- Elections au Parlement européen (23-26 mai 2019)

A ce stade d’avancement de la campagne électorale, les faits les plus marquants sont au nombre de quatre.

1- D’après les sondages, les partis populistes/nationalistes obtiendraient un nombre de sièges significatifs mais qui ne leur permettraient pas d’obtenir la majorité. Toutefois, et pour la première fois, le Parlement européen serait éclaté en plusieurs groupes ce qui mettrait un terme à la prédominance du PPE (parti populaire européen) et du S&D (sociaux-démocrates). De ce fait, la procédure du Spitzenkanditaten qui a permis au Parlement européen « d’imposer » au Conseil européen le candidat du parti arrivé en tête des élections est compromise puisqu’il faudrait qu’un accord soit conclu entre trois ou quatre partis pour proposer un candidat à cette présidence. 

2- Le PPE a décidé le 29 mars de suspendre (et non pas d’exclure) le Fidesz, parti du Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Cette décision pourrait avoir pour conséquence de réduire le nombre de parlementaires de ce parti et donc son influence pour espérer faire élire son candidat, Manfred Weber, à la Présidence de la Commission.

3- La commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, dont l’action pendant la mandature qui s’achève a été remarquée pour les lourdes amendes infligées à de grands groupes, dont Google, a décidé de se lancer dans la course à la Présidence de la Commission au sein du groupe ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe). Or, ce sont les Etats-membres qui désignent leur candidat à la Présidence de la Commission et Margrethe, qui est membre d’un parti de centre-gauche, n’appartient pas à un parti politique qui fait partie du gouvernement de coalition en place au Danemark. L’enjeu pour ce gouvernement est de choisir entre la politique nationale ou de pousser cette candidature vers un poste prestigieux.

4- En France, la campagne électorale monte lentement en puissance (le parti : La république en marche- LREM- a désigné sa tête de liste, la ministre des affaires européenne, Nathalie Loiseau avec « le Vert, Pascal Canfin comme n°2, le 26 mars, ce choix étant dicté par l’espoir de diminuer le score de la liste EELV). Cette liste a pour but de « ratisser large ».

Le mouvement des gilets jaunes et le « grand débat » voulu par le Président de la République, qui s’est clos le 15 mars, et dont on attend la suite qui lui sera donnée, prennent une grande place sur la scène politique et médiatique.

 

III- France- Allemagne

Alors que l’encre du Traité d’Aix-la-Chapelle est à peine sèche, et en réponse à la tribune du 4 mars du Président de la République diffusée en 28 langues par voie de presse aux citoyens européens dans laquelle il appelle à une « Renaissance européenne », la Présidente de la CDU, Angela Kramp-Karrenbaum (AKK) a pris ses distances dans Die Welt vis-à-vis des propositions françaises. Elle y écrit notamment : ». « Le centralisme européen, l’étatisme européen, la mutualisation des dettes, l’européanisation des systèmes sociaux et du salaire minimum seraient la mauvaise voie, tranche-t-elle. Une nouvelle fondation de l’UE, ne peut se faire sans Etats-Nation. […] Nous devons nous appuyer de manière conséquente sur un système de subsidiarité et de responsabilités propres ».

On doit cependant relativiser les propos d’une candidate à la candidature de son parti à la Chancellerie qui a gagné sa présidence à l’issue d’un vote où elle a obtenu une faible majorité face à un candidat située plus à la droite du parti. De plus, la poussée de l’AfD dans des régions de l’est où des élections régionales auront lieu en 2019 et où ce parti a réalisé de solides performances contraint AKK à se positionner également plus à droite que ne l’est Angela Merkel.

Christian Casper

 

 

Annexe – Conclusions du Conseil européen
(article 50), 21 mars 2019

1- Le Conseil européen prend acte de la lettre de la Première ministre Theresa May du 20 mars 2019.

2- En réponse à cette lettre, le Conseil européen approuve l’instrument relatif à l’accord de retrait et la déclaration commune complétant la déclaration politique dont la Commission européenne et le gouvernement du Royaume-Uni sont convenus à Strasbourg le 11 mars 2019.

3- Le Conseil européen convient d’une prorogation jusqu’au 22 mai 2019, à condition que l’accord de retrait soit approuvé par la chambre des communes la semaine prochaine. Si l’accord de retrait n’est pas approuvé par la chambre des communes la semaine prochaine, le Conseil européen convient d’une prorogation jusqu’au 12 avril 2019 et attend du Royaume‑Uni qu’il indique avant cette date une voie à suivre, en vue de son examen par le Conseil européen.

4- Le Conseil européen réaffirme qu’il ne saurait y avoir de réouverture de l’accord de retrait dont l’Union et le Royaume-Uni sont convenus en novembre 2018. Tout engagement, toute déclaration ou tout autre acte unilatéral devrait être compatible avec la lettre et l’esprit de l’accord de retrait.

5- Le Conseil européen appelle à poursuivre les travaux sur les mesures de préparation et d’urgence, à tous les niveaux, pour les conséquences du retrait du Royaume-Uni, en tenant compte de tout ce qui pourrait advenir.

6- Le Conseil européen restera saisi de la question.

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