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Qui veut vraiment d’une diplomatie européenne? Christian Casper, février 2021

Union européenne (UE) – Qui veut vraiment d’une diplomatie européenne ?

Après l’échec de la visite de Josep Borrell en Russie, le 5 février 2020, la question qui se pose à l’UE est de trouver une volonté politique et une vision stratégique commune, notamment vis-à-vis des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine.

En février 2020, Josep Borrell insistait sur « l’urgence » de « trouver à l’Europe sa place dans un monde de plus en plus marqué par des politiques axées sur la force brute ». 

Estimant qu’il était temps, pour les Vingt-Sept, d’adapter leur comportement afin d’« aborder le monde tel qu’il est, et non tel que nous aimerions qu’il soit », Josep Borrell voulait, en se rendant à Moscou auprès du ministre russe des affaires étrangères, mieux comprendre l’état d’esprit de son hôte et protester contre le sort réservé à Alexeï Navalny. Ce projet a échoué. Lors de la rencontre, Sergueï Lavrov a parfaitement incarné la « force brute » en question, en se moquant de lui et en refusant tout dialogue. Concomitamment, trois diplomates européens ont été expulsés.

Le comportement du ministre russe a ramené le camp européen à sa position assez habituelle, pour ne pas dire rituelle c’est-à-dire : expression unanime d’une condamnation, division quant aux solutions politiques à trouver.

La France condamne l’attitude de la Russie mais veut maintenir avec elle un « canal de dialogue » ; l’Allemagne, le plus gros consommateur européen de gaz, la condamne mais ne veut pas renoncer à l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2, le recours au gaz étant une alternative à l’abandon du nucléaire et du charbon ; la Grèce et l’Italie ont des liens étroits avec la Russie et ne veulent pas aller trop loin mais la Pologne et les Etats baltes veulent aller… plus loin. Et, quand le chef de la diplomatie hongroise s’est rendu à Moscou, il n’a pas eu un mot pour Navalny, mais a signé un contrat en vue de l’acquisition du vaccin Spoutnik V alors que l’Agence européenne des médicaments (AEM) est encore loin de l’avoir autorisé.

Sommé de s’expliquer par les parlementaires européens après ce voyage à Moscou, le Haut Représentant a relevé que, depuis deux ans, dix-neuf ministres européens s’étaient rendus en Russie. « Tout le monde pourrait donc y aller, sauf le Haut Représentant ? A quoi sert-il, alors ? Pas simple, dès lors, pour celui qui est censé incarner une diplomatie « commune », de proposer autre chose qu’un consensus sur un nouveau projet de sanctions. Les sanctions sont, en fait, le seul outil dont dispose l’UE (voir la note ci-dessous).

Quelle est la fonction du Haut représentant ? Est-il un simple coordinateur, le chef d’une lourde administration, le SEAE (Service européen pour l’action extérieure), un monsieur « bons offices » ou encore un petit télégraphiste chargé de porter aux quatre coins du monde la bonne parole et les valeurs de l’UE ? Ou encore attend-on de lui qu’il incarne cette « autonomie stratégique », cette « souveraineté » que le président français appelle de ses vœux ?

Josep Borrell a-t-il une légitimité suffisante pour être considéré, en surplomb des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept Etats-membres, comme le ministre des affaires étrangères de l’UE ?

Comment trouver une volonté politique et une vision stratégique communes qui conforteraient sa fonction alors que la Russie, la Chine ou les Etats-Unis ont leurs propres visions de l’ordre mondial et privilégient leurs intérêts particuliers quand les Vingt-Sept parlent de valeurs et jugent, en réalité, que leurs relations bilatérales avec les acteurs du monde demeurent les plus importantes ?

Les idées du « hard power » et du « langage du pouvoir » font, sans doute leur chemin dans l’UE, mais bien trop lentement pour être crédibles.

Josep Borrell réussira-t-il à présenter un bilan plus complet et convaincant que ses deux prédécesseurs ? Après la discrète prestation de Lady Ashton, Federica Mogherini a su cependant jouer un rôle important dans la mise en place de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien de juillet 2015. L’UE a signé cet accord ainsi que trois Etats membres de l’UE, dont deux étaient également encore membres du Conseil de Sécurité.

Josep Borrell semble conscient, en tout cas, de la réalité que résumait, en 2018, l’historienne Nicole Gnesotto, en évoquant une Europe dont la volonté de transformer l’extérieur s’est inversée, car « aujourd’hui, c’est l’extérieur qui nous déstabilise ».

L’ambassadeur de France et ancien représentant permanent auprès de l’UE, Pierre Vimont, estime que les européens « devront apprendre à parler européen ». Et, plus concrètement, il pense que pour aller plus loin, il faudra que l’UE dispose de plus de moyens, d’instruments ce qui impliquerait de procéder à des changements institutionnels.

Christian Casper

Février 2021

Note : Au-delà des sanctions prises à l’encontre de la Russie pour l’annexion de la Crimée, pour son intervention en Ukraine et après l’élection présidentielle de 2020 en Biélorussie qu’elle conteste, le Conseil des Affaires étrangères de l’UE a trouvé, lundi 22 février, un « accord politique » pour adopter des sanctions ciblées contre quatre hauts fonctionnaires russes responsables du traitement infligé à l’opposant russe Alexeï Navalny et à ses partisans.

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