La souveraineté plurielle de l’UE, Christian Casper, 5 mars 2021

« A propos » de l’article d’Alain Lamassoure publié le 12 octobre 2020 par la Fondation Schuman – Question d’Europe n°574
Le Conseil européen : un souverain auto-proclamé à la dérive
https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0574-le-conseil-europeen-un-souverain-auto-proclame-a-la-derive

Le Conseil européen a été créé en 1974. C’est le président Valéry Giscard d’Estaing qui en a pris l’initiative. L’intention était de mettre en place un forum informel de discussion entre les chefs d’État et de gouvernement.

Institutionnalisé en 2009 par le traité de Lisbonne, à contre-courant du souhait de Jean Monnet de donner à un organe supranational l’autorité pour diriger l’Union européenne (UE) au terme d’un long processus d’élimination des souverainetés nationales, le Conseil européen est devenu, en quelques années, « le souverain pluriel » de l’UE.

Réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement élus dans leur pays respectif, doté depuis ce traité d’un président permanent, il est devenu son centre névralgique, son principal centre de décision. A l’exception de la présidence de la Commission, il occupe toute la lumière et l’espace médiatiques

Sa légitimité est suffisamment grande pour que les chefs d’Etat et de gouvernement aient pu s’écarter des dispositions du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) qu’ils ont pourtant négocié. En effet, l’article15&1 de ce traité stipule que « le Conseil européen donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et définit les orientations et les priorités politiques générales. Il n’exerce pas de fonction législative ».

Compter, comme l’a fait Jean-Guy Giraud, le nombre de réunions du Conseil européen illustre sa prise de pouvoir : en 2020, le Conseil a siégé 15 fois s’étendant sur 26 jours, alors que le traité limite leur nombre à deux par semestre, auxquelles peuvent s’ajouter des réunions extraordinaires « lorsque la situation l’exige » (article 15&3 du traité précité). Si l’organisation de réunions virtuelles imposées par la crise sanitaire a facilité la multiplication de leur nombre, force est de constater que le Conseil a pris l’habitude de se réunir pour réagir à toutes les questions d’actualité sensibles, européennes ou internationales.

Le Conseil européen, étant « un souverain pluriel », adopte ses décisions par consensus, c’est-à-dire en pratique à l’unanimité (un consensus est un accord des volontés sans aucune opposition formelle). Toutefois, dans certains cas spécifiques prévus par les traités, il décide à l’unanimité ou à la majorité qualifiée.

Si le Parlement européen a vu ses pouvoirs croître progressivement, sa légitimité européenne est limitée dans la mesure où les députés européens sont élus dans des circonscriptions nationales. Quant aux partis politiques européens, ils sont européens dans la mesure où ils fédèrent, sur la base de leurs affinités idéologiques et dans un but de coordination de leurs actions, un certain nombre de partis politiques nationaux.

L’adoption par l’UE du système électoral préférentiel ou du « double vote » pratiqué par l’Allemagne pour ses élections législatives serait-elle de nature à conférer au Parlement européen une légitimité au moins égale à celle du Conseil européen comme semble le penser Alain Lamassoure ? En pratique, cela signifierait que chaque citoyen européen voterait pour un député de son pays et pour un député figurant sur une liste établie par un parti européen. Le Parlement européen serait ainsi composé, à l’instar du Bundestag, pour moitié de députés qu’on peut qualifier de nationaux et pour moitié de députés européens. Ce serait un léger progrès par rapport à la situation actuelle puisque l’assise politique des députés européens est nationale. Ce progrès serait limité en raison de la complexité de ce système électoral, ce qui ne serait pas de nature à favoriser la participation des citoyens, déjà faible, dans les Etats membres qui ne le pratiquent pas.

Si les méandres de procédures absconses de sélection et de décision dont les traités sont affligés peuvent faire croire que le Conseil, la Commission, le Parlement ont une réelle légitimité européenne, ils ne peuvent pas tromper des citoyens avides de clarté. Dans l’UE de 2021, le souverain reste pluriel. 

Christian Casper, 5 mars 2021

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