L’Iran, les défis d’une naissance : conférence donnée par François Nicoullaud le 8 juin 2017

 

 

 

Christian Casper du Mouvement européen-Paris nous livre les notes qu’il a prises lors de la conférence donnée le 8 juin 2017 par François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran

 

De l’Empire perse à la Révolution islamique

L’Iran est un pays complexe en particulier du fait de sa position géographique, de la multiplicité de ses frontières, des grands ensembles naturels qui le composent, de sa population et de sa culture. C’est « un Empire des confins ». Historiquement, l’Iran est un Empire millénaire qui a connu de grands rois comme Cyrus le Grand. Sa longue et dense histoire tourmentée a pour caractéristique que ce fut le premier Empire multiculturel et l’une des civilisations continues les plus anciennes du monde. Envahi par les arabes qui l’islamisèrent, le pays conserva néanmoins sa langue, sa culture et ses traditions. L’Iran compte des philosophes, des poètes, des scientifiques, tel Avicenne, à la fois philosophe, mathématicien, astronome et médecin. Les Iraniens considérant qu’ils sont les héritiers de cet Empire, en tirent de la fierté et une certaine arrogance. La Révolution islamique de 1979 a été une vraie révolution dont le cours présente une analogie avec celui de la révolution de 1789 : à l’unanimisme des débuts a succédé la terreur. Cette révolution l’a isolé du reste du monde. Mais l’invasion irakienne de septembre 1980, qui marqua le début d’une guerre très meurtrière de huit ans entre les deux pays, provoqua un sursaut nationaliste autour du régime. L’économie de l’Iran sortit exsangue de ce conflit.

Une société duale

L’Iran est actuellement coupé entre deux modèles de société très opposés : un modèle idéaliste, religieux, conservateur ; un modèle pragmatique, réaliste et ouvert, incarné par son Président Hassan Rouhani réélu en mai 2017. Cette situation se retrouve au niveau politique. Au sommet se trouve le Guide suprême de la Révolution, détenteur de l’autorité suprême du régime, nommé à vie par un collège de dignitaires religieux, l’Assemblée des Experts. Ali Khamenei occupe cette fonction depuis la mort de Khomeini, auquel il a succédé à la mort de celui-ci en 1989. Il a été Président de l’Iran de 1981 à 1989 et, à ce titre, très proche du Guide suprême, Khomeini. C’est un conservateur qui n’a pas, par exemple, voyagé à l’étranger. Désormais âgé, sa succession pourrait s’ouvrir prochainement. Les conservateurs disposent de plusieurs relais d’influence comme le corps des Pasdaran ou Gardiens de la Révolution.

Le Président est élu au terme d’un processus démocratique qui se rapproche de celui en vigueur dans les pays occidentaux. Le régime est donc beaucoup moins autocratique que ceux des États du Golfe. Toutefois, une sélection des candidats à la présidence est effectuée en amont, afin de s’assurer de la fidélité des candidats au régime. L’élection présidentielle de mai 2017 a opposé Hassan Rouhani à un conservateur, Raïssi, qui fut procureur au début de la révolution et l’ordonnateur de nombreuses exécutions. Cette élection a donné lieu à de vrais débats et la participation électorale a atteint le taux de 75 %. L’élection de Hassan Rouhani dès le premier tour, avec 61 % des suffrages exprimés, a été fêtée. Autre contraste, à un pays urbanisé à 70 %, alphabétisé, éduqué, où les femmes sont majoritaires dans les universités, utilisant les instruments les plus récents de la communication, répond une économie reposant sur la rente et contrôlée très majoritairement par les pouvoirs publics.

Un contexte géopolitique compliqué

La situation géopolitique dans la région est extrêmement tendue. Elle oppose l’Arabie saoudite, qui regroupe autour d’elle les États sunnites, et l’Iran, qui développerait « un croissant chiite » s’étendant jusqu’au Liban en passant par l’Irak (majoritairement chiite) et la Syrie. Situation qui suscite une grande inquiétude en Israël. Ces deux grands États s’affrontent en s’accusant mutuellement d’entretenir le terrorisme. Cet affrontement s’étend aux grandes puissances : les États-Unis, la Russie, proche depuis longtemps de la Syrie, et l’Europe qui est un élément modérateur. L’Arabie saoudite est dirigée par le vieux roi Salmane. L’influent vice-président héritier âgé de 31 ans, également ministre de la défense, Mohammed ben Salmane, est très entreprenant. Le pouvoir dans ce pays est partagé en vertu d’un pacte conclu entre les politiques qui ont la main sur les affaires séculières et les religieux qui s’appuient sur le wahhabisme pour justifier leur prosélytisme. Depuis la révolution de 1979, la relation avec Israël est toujours officiellement conflictuelle. Israël craint la menace nucléaire et balistique de l’Iran (le Pakistan et l’Inde disposent de l’arme nucléaire) et s’élève contre l’aide financière que ce pays apporterait au Hamas et au Hezbollah tandis que l’Iran dénonce la volonté des autorités politiques d’Israël d’être reconnue comme Etat juif par la communauté internationale. L’Iran pourrait faire un geste de bonne volonté en ratifiant le traité pour l’interdiction complète des essais nucléaires qu’il a déjà signé. Le devenir de l’accord de juillet 2015 La présence américaine, terrestre et navale, dans la région (30 000 hommes) est très importante. On notera que les budgets de la défense des pays du Golfe sont quatre à dix fois supérieurs à celui de l’Iran. La récente tournée du président Donald Trump à Jérusalem et à Ryad semble marquer une sensible inflexion de la politique menée dans la région par son prédécesseur qui a conduit à l’accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015. Si cet accord a permis une relative levée des sanctions, l’utilisation du dollar par l’Iran est toujours prohibée, ce qui l’empêche de se raccorder au système mondial de paiement bancaire et rend frileuse les banques européennes qui savent à quel point les amendes infligées par l’administration américaine peuvent être lourdes. Les banques iraniennes, malgré la levée des sanctions économiques qui leur avaient été imposées, connaissent toujours de sérieuses difficultés pour reprendre leur activité, ce qui complique la mise en œuvre de financement de grands projets. Le redémarrage de l’économie est donc timide. Les entreprises françaises (Total, Renault, PSA etc.) qui jouissent, contrairement à celles de Chine, d’une bonne image, reprennent doucement leurs activités. Le taux de chômage (12,5 %) est encore élevé, en particulier chez les jeunes.

Notes de Christian Casper

 

François Nicoullaud est ancien élève de l’ENA. Il mène une carrière diplomatique au cours de laquelle il occupe à l’étranger les postes de chef de cabinet à Berlin, Consul général à Bombay, Ambassadeur à Budapest, Ambassadeur à Téhéran (2001-2005). En France, il est directeur de cabinet de Pierre Joxe, puis directeur général de la coopération internationale et du développement et président du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger. François Nicoullaud est un des fondateurs du syndicat CFDT des Affaires étrangères. Il siège de 2005 à 2013 à l’Assemblée des Français de l’étranger au titre des personnalités qualifiées désignées par le ministre des Affaires étrangères. Il enseigne à la Paris School of International Affairs (PSIA), créée par Sciences Po Paris. Ses publications et conférences sont tournées vers l’analyse de la politique internationale, spécialement autour de l’Iran et du Moyen-Orient, ainsi que la non-prolifération.

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