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Un nouveau gouvernement allemand pour une relance du projet européen ?, Christian Casper, mars 2018

Libres propos de Christian Casper – Mars 2018

Un nouveau gouvernement allemand pour une relance du projet européen ?


Environ six mois après les élections législatives du 24 septembre 2017, l’Allemagne dispose d’un gouvernement de plein exercice depuis le 14 mars.

Rappelons brièvement que la CDU/CSU et le SPD, les deux grands partis de ce pays depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ont enregistré des résultats en très sensible recul lors de ces élections qui ont vu l’émergence d’un parti d’extrême-droite, Alternative für Deutschland (AfD), et une nette progression du parti libéral FDP.

Après l’échec de la tentative de former une coalition dite « Jamaïque », le SPD a fini, après avoir tergiversé, par se rallier à nouveau à la formation d’un gouvernement de grande coalition avec la CDU/CSU.

Dans une Union européenne (UE) quelque peu tétanisée depuis l’élargissement de 2004-2007 à douze autres pays, l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie en 2005 et le rejet la même année du projet de traité constitutionnel, l’opinion publique européenne a suivi comme jamais en Europe les péripéties qui ont suivi ces élections.

L’Allemagne est de loin, en effet, la première économie de l’UE, réalisant des excédents budgétaires, avec un excédent colossal (7 % de son PIB) de sa balance commerciale et une dette publique qui fond rapidement.

Par sa position géographique en Europe et par sa puissance économique, l’Allemagne a pris un leadership de fait dans l’UE.

 

Deux éléments sont à considérer pour évaluer les forces et les faiblesses de ce gouvernement dans lequel le SPD a obtenu le Ministère des Finances, Olaf Scholz, vice-chancelier, succédant à Wolfgang Schaüble, et la CSU le Ministère de l’Intérieur et de la Patrie (« Heimat »), sous la houlette de Horst Seehofer :

– « L’affectio societatis » entre les deux partis est de faible intensité. La perspective d’un retour prématuré devant les électeurs susceptible de conduire à une nouvelle progression de l’AfD a été l’élément déterminant de sa formation. La grande coalition n’a de grand que son nom ce qui s’est traduit dans le vote d’investiture d’Angela Merkel où elle n’a obtenu qu’une maigre majorité. Epais, plus de 170 pages, le programme de gouvernement est un compromis politique juridiquement non contraignant.

– En Allemagne, une législature durant quatre ans, il ne reste plus que de trois ans et demi avant la prochaine échéance de l’automne 2021. C’est peu.

Tant à la CDU/CSU qu’au SPD, il faudra désigner suffisamment en amont de cette échéance le candidat qui portera ses couleurs pour faire campagne et gagner la confiance des électeurs.

On peut donc penser que ce gouvernement se penchera surtout sur les questions de politique intérieure (santé, éducation, énergie et … réfugiés) par lesquelles le plus souvent une élection se gagne ou se perd.

En attendant la prochaine échéance législative l’Allemagne sera dirigée par un gouvernement de transition (en attendant la prochaine échéance législative). D’ores et déjà, la succession d’Angela Merkel s’est ouverte avec la nomination de la Ministre-Présidente de la Sarre, Annegret Kramp-Karrenbaum (AKK) au poste de secrétaire général de la CDU et celle du jeune et ambitieux Jens Spahn à la tête du Ministère de la Santé. Quant au SPD, Martin Schulz s’est auto-éliminé et des noms circulent.

De toutes les façons, il y aura des outsiders dans les deux camps.

 

Qu’attendre de ce gouvernement pour relancer l’UE ?

Le côté très positif est que l’Europe occupe les premières pages du programme de coalition en des termes aussi volontaristes que vagues.

Ce programme s’efforce, tout en prenant en compte les négociations à venir, de répondre aux propositions faites par le Président français dans son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017. Il y est prévu une hausse de la contribution allemande au budget de l’UE et de renforcer la zone euro pour la rendre plus résistante aux crises. Il est aussi favorable à la création d’un Fonds monétaire européen qui, s’il s’inspire des règles rigoureuses du FMI, ne rendra pas la vie plus facile aux pays en difficultés. Il est, en revanche, réservé sur l’idée d’un ministre des finances de l’UE ainsi que sur un budget d’investissement de la zone euro pour faciliter sa stabilisation et soutenir des réformes structurelles.

Ce qui est certain, c’est que ce gouvernement ne dérogera pas à la règle, partagée par des pays du nord comme les Pays-Bas, qui est le fondement de sa politique économique et financière depuis des décennies i.e. le respect des grands équilibres budgétaires ce qui limitera la portée de tout accord portant sur une union de transfert et sur la mutualisation des risques.

En matière de défense, l’Allemagne fait sienne l’objectif fixé par l’OTAN à ses membres qui doivent allouer à leur budget de la défense 2 % de leur PIB en 2024 ce qui représente un effort très significatif par rapport à la situation actuelle. Mais, comme ce fût le cas lors de la ratification par le Bundestag du traité de l’Elysée en 1963 dont le renouvellement a été évoqué, le référent dans ce domaine restera l’OTAN.

On notera enfin que ce programme de coalition se préoccupe de la situation en mer Baltique, préoccupation qu’elle compte partager avec deux autres membres de l’OTAN, les Pays-Bas et la Norvège, la Suède et la Finlande étant neutres en raison de leur proximité avec la Russie.

 

On peut espérer que s’échappant de son tempérament à la fois prudent (à l’exception d’une déclaration sur l’accueil des réfugiés dont le coût politique a été élevé pour sa formation politique) et tacticien, Angela Merkel voudra marquer de son empreinte son quatrième et dernier mandat rejoignant ainsi les propositions ambitieuses mises sur la table par Emmanuel Macron sur l’Europe.

Il serait toutefois vain et arrogant de considérer que l’Allemagne et la France peuvent à elles seules diriger une UE de vingt-sept Etats-membres (le Royaume-Uni ne sera normalement plus membre de l’UE fin mars 2019), les susceptibilités de certains pays pouvant entraîner de légitimes crispations. Le clivage nord/sud est réel notamment en matière de discipline budgétaire et le clivage ouest/est sur les valeurs et les pratiques démocratiques est inquiétant.  De plus, les risques de blocage de décisions qui nécessitent le plus souvent de réunir l’unanimité sur les sujets régaliens sont des freins qui ne sont pas insurmontables mais qui requièrent parfois de mener de longues négociations pour aboutir.

Il serait également erroné de croire que les élections européennes de 2019, qu’il serait plus précis d’appeler élections au Parlement européen, permettraient de relancer l’UE. Les pouvoirs et l’influence de ce Parlement sont, en effet, limités par rapport au poids politique du Conseil européen.

Il sera néanmoins intéressant de voir quelles sont les attentes des citoyens européens à la lecture du contenu des « consultations citoyennes » qui commenceront prochainement, l’approche « Bottom up » n’étant pas inhérente à la pratique institutionnelle de l’UE.

 

Il est temps de procéder à un aggiornamento

L’héritage des années 1950 s’éloigne et s’efface. De jeunes, parfois très jeunes, dirigeants accèdent au pouvoir en France, en Autriche, peut-être en Italie, demain en Allemagne et ailleurs.

Longtemps plongée dans la repentance des événements de la première moitié du XXe siècle et démocratie exemplaire depuis 1949, l’Allemagne va sans aucun doute vouloir jouer un rôle politique à la mesure de sa taille et de son économie. « Une nation qui n’a que la culpabilité ne peut pas être bien portante » a déclaré une ancienne dirigeante de l’AfD.

 

La globalisation, la violence et la soudaineté de la crise migratoire, à laquelle l’UE ne sait pas apporter une réponse à la fois humanitaire et efficace, ont provoqué des réactions de rejet, de repli identitaire sur un ensemble culturel existant depuis des siècles dans la plupart des pays-membres de l’UE. Comme le remarque Ivan Krastev* dans son livre « Le destin de l’Europe », « le clivage droite-gauche se voit remplacé par un conflit opposant les internationalistes et les nativistes ». Les « anywhere », nourris de culture libérale, sont à l’aise dans la globalisation tandis que les « somewhere » sont assignés à résidence dans leur territoire et réclament leur protection.

A ce phénomène s’ajoute un accroissement des inégalités, les classes aisées étant mieux à même par leurs compétences et par leurs réseaux de capter la richesse que les classes modestes, ainsi qu’un clivage qui grandit entre les villes et les campagnes.

Confrontée à cette situation, l’Europe de l’UE n’a pas mis à jour « son logiciel » de valeurs et le décalage est de plus en plus criant entre sa culture libérale et l’appel au respect de son identité. Aux valeurs traditionnelles libérales d’inclusion de l’Europe s’opposent désormais des demandes d’exclusion.

 

Il n’y a pas lieu pour autant de se morfondre. Pour reprendre Antonio Gramsci, si l’intelligence peut, à court terme, rendre pessimiste sur l’avenir de l’UE, la volonté conduit à l’optimisme. Même les fondateurs de l’Europe, celle de l’Europe économique (la CEE), ont estimé que l’intégration européenne était une œuvre de longue haleine.

Et l’existence d’une identité européenne « ne fait pas de doute quand elle est regardée de loin ».

Christian Casper

 

* Ivan Krastev est un politologue bulgare né en 1965.

 

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